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Son grand argument était que le per- fectionnement a plus de valeur que les inven- BN FRANCE. 89 lions. « Inventer est un grand mérite : mais, qui fait les inventions ? Un hasard de date et de priorité. Ce qu'ont inventé les anciens, nous Taurions inventé nous-même si nous avions été les anciens. » Cette théorie ne pouvait sa- tisfaire entièrement la droite raison deBoileau, et, ne se lassant point de tenir tête aux nova- teurs, il répondit aux Parallèles par ses Ré- flexions sur Longin, a Ge que Boileau, et avec lui le xvn* siècle classique, dit M. Krantz, estimait dans les anciens, ce n'était pas leur antiquité, mais bien plutôt cette éternelle nouveauté qu'ils de- vaient à la nature et à la raison. Pour Boileau, la matière de la littérature est éternelle, comme pour Descartes celle de la philosophie; on n'invente pas plus le beau que le vrai, puisque le beau n'est après tout, — et Boileau l'a dit, — qu'une forme du vrai. On n'en invente que l'expression qui est à l'art ce que la méthode est à la philosophie. » A vrai dire, ce qui séparait Perrault de 90 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE Boileau, c'était plutôt Vapprécialion des per- sonnes et des œuvres, qu'un dissentiment profond sur la conception d'un idéal littéraire. Aussi finirent-ils par se réconcilier. Perrault comprit que, opposer tel écrivain du temps à tel autre de l'antiquité, ce n'était pas éclairer la question, et que dans l'évaluation de la différence des talents dans les mêmes genres, il y aurait toujours autant de sentiments que de têtes. Quelques années plus tard, la lutte se trouva terminée, non par la victoire de l'un des deux partis, mais par l'épuisement de l'un et de l'autre. On la verra reparaître plus tard, sur un terrain plus large, entre classi- ques et romantiques ; mais alors on laissera de côté la personnalité des auteurs : Il s'agira de discuter les genres eux-mêmes, et la va- leur des procédés littéraires, en faisant abs- traction des personnes. Mais là, encore, on se retrouvera en présence, pour les soutenir ou les rejeter, des principes défendus par Boileau et particulièrement exposés dans son traité de EN FRANCE. 91 Vart poétique^ qui fut le vrai code de la litté- rature classique. Assurément, les règles par- ticulières qu'il expose, et plus encore les ap- plications spéciales qu'on en peut faire, sont controversables : il ne saurait en être autre- ment ; mais, il n'en est pas moins vrai que cette poésie n'est devenue, en quelque sorte, banale, qu'à force d'être judicieusement pensée et vigoureusement écrite. « L'art poétique, dit M. H, Martin, semble un recueil de centons et de maximes, tant ii fourmille de vers devenus proverbes. » Ce que M. Martin oublie d'ajouter, c'est que toute la littérature dite classique, et par- ticulièrement l'art poétique de Boileau, qui en formule si magistralement les règles, n'est autre chose que l'application à la littérature des principes exposés par Descartes dans sa philosophie. Nous rentrons donc dans notre thèse générale en affirmant le caractère essen- tiellement philosophique et cartésien de la lit- térature classique. Cette question, d'ailleurs. 92 UISTOllŒ DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE entrevue par un certain nombre de critiques, a été supérieurement traitée, et dans son ensemble , incontestablement résolue par M. Krantz, dans son Essai sur f Esthétique de Descartes. Nous engageons ceux que n'effraye pas la lecture d'un slyle philosophique, tou- jours précis et même éloquent, mais parfois aussi plus fatiguant quand on n'est pas fami- liarisé avec les termes et formules, à consul- ter cet excellent ouvrage. M. Krantz consa- cre la plus grande partie de sa thèse à l'étude de Vart poétique de Boileau. Il le considère comme faisant bien le pendant au Discours sur la méthode^ et comme le premier monu- ment de l'esprit critique en littérature, de môme que le Discours l'avait été en philoso- phie. Il n'a certes point l'intention de faire l'analyse de l'œuvre ; ce n'eût été qu'une ré- pétition de ce qu'ont fait avant lui d'éminents critiques, tels que M. Nisard, pour ne citer qu'un nom, qui n'est pas le moins illustre. Mais, traitant ce sujet au point de vue phi- EN FRANCE. 93 losophique, il détermine, d'après Boileau : 1"* Quel est le beau idéal dans le genre classi- que ; 2° A quel critérium il se reconnaît, tant dans les caractères objectifs de T œuvre que dans les émotions subjectives do Tàme qui conçoit ce beau idéal ; 3* Quels moyens doi- vent prendre et quelles règles doivent suivre les poètes, pour exprimer, réaliser le beau idéal. Dans chacune de ces questions, qu'il s'a- gisse, soit des principes mômes, soit des règles qui en seront la conséquence et l'application, M. Krantz établit l'inspiration et la direction cartésiennes. A l'aide de nombreux exemples, il nous fait toucher du doigt, en quelque sorte, l'accord constant qui règne entre Descartes et Boileau. Il est à remarquer que cette division de TArt poétique de Boileau : Essence, citérium et expression de beau idéal, correspond exac- tement aux trois grandes divisions de la phi- losophie de Descartes : 1° Esseiice du vrai^ ou 94 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE métaphysique ; 2* Critérium de la vérité^ ou psychologie ; 3° Méthode pour arriver au vrai, ou logique. Or, si, pour Descartes, Tessence du vrai, c'est Yuniversel^ pour Boileau, Tessence du beau consiste aussi dans Y universel. C'est le môme système, qui s'appelle: en philosophie \ idéalisme^ et en littérature le clas- sique. Ce que tous deux estiment par dessus tout, c'est le général^ et par suite la faculté qui le saisit: la Raison. On est étonné du nombre de vers où revient, chez Boileau, ce terme de raison, et, quand on les rapproche, on pourrait se croire en présence d'un traité de logique, non moins que d'un art poéti- que: Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime Aimez donc la raison; que toujours vos écrits Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix, etc. Pour Descartes le critérium philosophique c'est l'évidence ; pour Boileau le critérium es- thétique, c'est la clarté : EN FRANCE. 95 Ce que Ton conçoit bien s'énonce clairement.. Une nouvelle absurde est pour moi sans appas, L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas... etc. La même analogie se retrouve entre Des- cartes et Boileau dans l'exposé des principales règles qu'ils formulent, telles que : la clarté, l'unité, l'identité, la simplicité, la perfection absolue, l'analyse et l'abstraction, la sépara- tion des genres, etc. Telle est, résumée en quelques mois, l'inté- ressante étude que M. Krantz consacre à l'art poétique, en suivant la marche la plus logi- que. 11 caractérise d'abord la philosophie de Descartes, puis la littérature classique, et fait ensuite la comparaison des deux pour en faire mieux ressortir la ressemblance. En terminant cetle étude sur Boileau, nous ne devons pas oublier les reproches plus ou moins fondés, qui lui furent adressés. Quel- ques-uns, comme Marmontel, lui refusent les facultés essentielles du rôle qu'il s'est donné de senseur des mauvais écrivains de son siècle. 96 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE C'est aller beaucoup trop loin. On lui repro- che certaines injustices envers Quinault, et peut-être n'a-t-on pas tout à fait tort. Quant à l'oubli plus regrettable de La Fontaine, son ami, il est probable que la meilleure raison que pourrait alléguer Boileau, pour justifier et excuser son silence, c'est précisément que La Fontaine subissait beaucoup moins que lui l'influence de la philosophie cartésienne, et par suite, que leur Esthétique n'était pas la même. La nature, que La Fontaine se con- tentait de sentir^ et de traduire comme il la sentait, n'apparaissait pas sous le même point de vue à Boileau, qui voulait la raisonner. Aujourd'hui, Boileau n'aurait sans doute qu'un regard de dédain pour les rosiers, pous- sant en liberté, d'Alphonse Karr, mais il s'exta- siait alors devant les ifs taillés méthodique- ment du jardin de Versailles. Cette manière d'envisager la nature était toute cartésienne ; c'était celle de Boileau et des vrais classiques. Quoiqu'il en soit, il faut reconnaître en lui, EN FRANCE. 97 avec La Harpe, presque toutes les qualités de l'esprit et du cœur dont la critique réclame le concours. « Boileau, dit M. Villeniain, fut le réfor- mateur de son siècle. Sans long examen, avec de bonnes plaisanteries et de bons vers, il dé- crédita les mauvais écrivains, qui presque tous se vengèrent en faisant de mauvaises criti- ques... Il appuya sa doctrine de ses exemples, voilà ce qui fit sa force. » C'est à regret que nous laissons dans Tom- bre plusieurs auteurs dont les mérites auraient droit à une place plus honorable dans l'his- toire de la critique. Nous ne faisons que nommer La Bruyère, qui semble procéder à la fois de Molière, de La Rochefoucauld et de Nicolle, et dont on ne saurait méconnaître l'importance des juge- ments littéraires, mêlés à ses études de pein- tre des mœurs. Bayle exerça son esprit critique sur l'érudi- tion, plus encore que sur le goût ; et il le fit 6 98 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE sans amertume et sans passion, avec un es- prit supérieur et modéré. Le mérite des œuvres de Fénelon ne doit point faire oublier à quel point il s'est montré critique éminent dans les Dialogues sur rElo- quence^ et surtout dans la Lettre à r Académie française^ — cette merveille d'érudition et de bon sens. Il faudrait citer encore, parmi les critiques de profession du siècle de Louis XIV, Da- cier, et surtout madame Dacier, si ardente à la défense des Anciens, et particulièrement d'Homère, si outrageusement défiguré par La Motte. « L'ingénieux La Motte, — dit M. Ville- main, — avait lé véritable langage, et, pour ainsi dire, les grâces de la critique. Sa cen- sure est aussi polie que sa diction est élégante. Il ne lui manquait que d'avoir, raison. Mais il se trompa, d'abord en attaquant les anciens, et plus «ncore en défendant ses vers. » Le soleil de Louis XIV est sur son déclin ; EN FRANCE. 99 les étoiles qui lui faisaient cortège s'éteignent les unes après les autres. Les astres nouveaux qui s'élèvent n'appartiennent plus au grand siècle ; c'est le commencement d'une ère nou- velle. RoUin, le bon Rollin, fait entrer la cri- tique littéraire dans l'enseignement, pendant que les maîtres de Port-Royal ne poussent pas l'austérité jusqu'à l'en bannir. « Le Traité des Etudes de RoUin est, selon l'expression de M. Villemain, un monument de raison et de goût, un des livres les mieux écrits dans notre langue après les livres du génie. » Il appar- tient au xviii* siècle, le siècle critique par excellence, et, dans le fracas d'un passé qui se brise, apparaît Voltaire. CHAPITRE IV LA CRITIQUE AU XVIIl* SIECLE Au xviii* siècle, ce siècle si novateur, il s'éta- blit, dans le monde des Lettres, une sorte d'équilibre entre les producteurs et les criti- ques. Chaque catégorie est aussi riche et aussi brillante que l'autre. Voltaire, par exemple, qui est le premier à signaler dans la critique comme en tant de choses, s'y partage avec une sorte d'égalité. Son Commentaire de Cor- neille vaut bien ses meilleures tragédies, et son Siècle de Louis XIV vaut mieux que sa Henriade. Dans la seconde moitié surtout, il n'est pas un grand écrivain qui échappe à ce EN FRANCE. lOt désir, à ce besoin d'analyse critique. « Il sem- ble, — dit M. Villemain, — qu'après de nom- breuses innovations en théories, la réforme réelle ne s'était pas encore produite ; le talent manquait de but et de carrière^eS yeyenait san,« ^ : cesse à la seule coutemplatien dé Part. Yoiis^ . voyez Buffon faire un cliscoarY*fkcr*^ ''styce} ^ vous voyez Montesquieu donner des préceptes du goût ; Voltaire, dans sa volumineuse collec- tion est plus critique encore qu'historien et poète. L'époque et les institutions le ramènent à cet emploi subalterne des forces de sa pen- sée. C'était presque la seule tâche offerte aux talents du second rang, à Thomas, à La Harpe, à Marmontel, à Barthélémy, à Chamfort, enfin à presque tous les hommes du xvm** siècle qui ne furent pas des originaux. » Et plus on avancera vers le xix* siècle, plus on verra les grands talents se vouer de prime- abord à la critique. Les producteurs eux- mêmes deviendront tellement possédés de cet esprit, qu'ils se feront les critiques de leurs 6* j j 102 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRB propres œuvres. Ils voudront les annoncer, les analyser, les commenter, les compléter, les défendre, et même les admirer dans des . introductions ou appendices considérables et •;: .••garfois.pks^Qufieux que les œuvres mêmes. . - . I ..Cette réflexion nous ramène à constater ♦•'•• •••Mètkieiîèe-dè'kpliilosophie sur la littérature en général, et sur la littérature dramatique en particulier. « Au xviii* siècle, dit encore M. Krantz, le théâtre et la philosophie se rapprochent au point de s'identifier. Diderot rêva un théâtre moral qui enseigne la vérité et la vertu. On parlera plus tard de pièces à thèses, et, après le théâtre moral, on ira jusqu'à la conception d*un théâtre scientifique. Nous n'avons pas à rechercher ici si cet envahissement du théâtre par la philosophie n'est pas un danger pour tes deux, et si l'histoire n'est pas là pour nous avertir que le théâtre, du moins, a rarement gagné à cette intimité exagérée avec l'esprit de système et de discussion. Mais nous consta- I EN FRANCE. 103 tons un fait qui a son importance : l'élément essentiel du théâtre est tellement un élément philosophique que plus le théâtre se développe dans le tpmps et plus cet élément devient do- minateur et exclusif, au point même de com- promettre, par l'excès, l'équilibre et l'indivi- dualité de cet organisme dramatique dont il . est comme le principe vital. » On a dit que la critique au xvin* siècle se présentait sous trois formes : Elle était dog- \ matique, historique, ou conjecturale. Ce fut Diderot qui donna l'exemple de celte dernière en se faisant novateur en théorie avant de l'être en fait. C'est peut-être là que commenceat à s'éta- blir ou à s'accentuer les diflFérences qui carac- térisent au théâtre l'esprit classique et l'esprit romantique. Nous savons déjà que le premier procède par analyse et par abstraction pour exprimer le général, et donner l'impression de l'unité. Le second prend le contre-poids, il emploie de préférence le concret, c'est-à-dire 104 HISTOIRE DE LÀ CRITIQUE LITTÉRAIRE le fait, le mouvement et la couleur ; il a pour moyen Tanlithèse et pour but le rapproche- ment des contraires, « avec l'intention d'en comprendre le plus possible dans une synthèse de plus en plus enveloppante qui n'exclura aucun eflFet de contraste ni aucun genre d'op- position. » Cette théorie est rendue palpable à l'aide d'un exemple. Prenons au hasard une tragé- die classique, soit la Phèdre de Racine. Avant la pièce, il y a la liste des personnages, puis cette demi-hgne : « La scène est à Trézène, ville du Péloponèse. » Et c'est tout : pas d'au- tre indication, ni sur le décor, ni sur la posi- tion, ni sur les gestes des acteurs. Diderot, au contraire, qui est en quelque sorte comme le père du romantisme français, puisqu'il a fondé le drame, a inauguré le sys- tème des renseignements au lecteur. Il indique ses intentions et les attitudes de ses personna- ges, par de petits morceaux de descriptions intercalés dans le dialogue. On en voit de eu* EN FnÂNCE. i05 rieux exemples dans le « Père de famille, » et le « Fils Naturel. » Ce n'est peut-être pas en- core une théorie, mais c'est du moins, le signe frappant d'une théorie. Il y a là un trait ex- pressif que le romantisme français poussera plus tard jusqu'à d'excessives minuties. On verra, par exemple, le premier acte de Ruy- Blas précédé d'abord de la liste des personna- ges ; ils sont bien autrement nombreux que dans les tragédies de Racine, ce qui annonce déjà une action plus complexe. Puis viendra une longue page de description el de narra- tion, où l'auteur nous mettra au courant des détails matériels que, dans sa pensée, il im- porte de connaître pour suivre son drame. Dans d'autres pièces romantiques, ces indica- tions prennent même parfois des proportions énormes. En créant le drame en France, Diderot flé- chissait au mouvement philosophique de son temps. Il rejetait l'analyse classique et subis- sait la tendance naissante vers la synthèse. Le 106 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE romantisme a si bien compris cette tendance que plus tard il Térigera en véritable loi esthé- tique. Dans sa préface de Ruy-Blas, Victor Hugo dira : « Le drame tient de la tragédie par la peinture des passions et de la comédie par la peinture des caractères. Il est la troi- sième grande forme de Tart, comprenant, en- serrant et fécondant les deux premières. Cor- neille et Molière existeraient indépendamment Tun de l'autre, si Shakespeare n'était entre eux, donnant à Corneille la main gauche, à Molière la main droite. De cette façon, les deux élec- tricités opposées de la comédie et de la tragé- die se rencontrent, et Tétincelle qui en jaillit, c'est le drame. Diderot cependant, en créant le drame, n'a- vait fait que reprendre l'idée de Corneille. Si le drame, essayé et même défini par le grand Corneille, n'a pas fait son entrée cent ans plus tôt sur la scène française, malgré la haute autorité d'un introducteur aussi illustre, ce n'est pas que la formule n'en ait été proposée EN FRANCE. 107 aux classiques et connue d'eux, mais c'est que leur goût ne pouvait pas les admettre, parce que ce goût était inspiré et réglé par une phi- losophie dont l'esthétique n'admettait pas la confusion des genres. Voilà pourquoi le drame présenté au théâtre du xvii^ siècle sous le pa- tronage de Corneille, a été repoussé et différé jusqu'à Diderot, c'est-à-dire pendant le temps qui s'est écoulé entre l'avènement du carté- sianisme et le commencement de sa décadence, ou du moins entre Tépoque où il ne faisait que de naître, et celle où la philosophie du senti- ment et de la sensation diminua considérable- ment son empire. Les réflexions qui précédent, et établissent une fois de plus la subordination de la littéra- ture, et par conséquent delà critique, à la phi- losophie, ne nous paraissent pas inutiles au moment d'entreprendre une étude sur Voltaire. Elles nous aideront àcompre ndre son tempé- rament essentiellement éclectique qui en phi- losophie fera de lui un idéaliste et un réaliste. 108 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE et en littérature uu classique et un romanti- que. On a recueilli en un volume spécial la Rhé- torique de Voltaire^ mais il faudrait bien des volumes pour extraire de ses écrits tout ce qui a rapport à la critique. Ce serait une tâche effrayante de chercher à travers l'œuvre en- tière ses opinions en littérature et en esthéti- que. Et encore cette recherche immense n'a- boutirait qu'à une collection de jugements très- divers, parfois même contradictoires, dont il serait délicat de tirer une conclusion unique et fixe. Suivant les textes consultés et habile- ment choisis, on pourrait démontrer que Vol- taire a été rationaliste avep Descarte, et aussi ^, empirique avec Locke. On constaterait que c'est avec un enthousiasme qui promettait une révolution littéraire qu'il fit connaître Shakes- peare à la France, comme bientôt après il traitera de « barbare » ce même Shakespeare et qualifiera ses chefs-d'œuvre de « farces monstrueuses. » C'est ainsi encore qu'il a écrit EN FRANCE. 109 des drames suivant la formule romantique de Diderot, et des tragédies suivant la formule classique de Racine. A qui s'étonnerait de ces changements à vue, il faudrait répondre qne cet éclectisme de Voltaire constitue précisément le côté carac- téristique de son génie, et explique ce qu'on pourrait appeler /'wmver^a/zV^ de Voltaire, uni- versalité qui n'a cessé ni ne cessera d'étonner la postérité. C'est ce qui semble aussi avoir conquis d'abord, séduit, enchanté Frédéric, comme le prouve cette lettre qu'il lui adressait à Girey. « Je doute, — lui écrivait-il, — s'il y a un Voltaire dans le monde ; j'ai fait un système pour nier son existence. Non assurément, ce n'est pas un seul homme qui fait le travail prodigieux qu'on attribue k M. de Voltaire. 11 y a à Girey une Académie composée de l'é- lite de Tunivers. Il y a des philosophes qui traduisent Newton ; il y a des poètes héroï- ques,et il y a des Gorneille, il y a des Catulle, 7 liO HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE il y a desThucidide, et Touvrage de cette Aca- démie se publie sous le nom de Voltaire,comme Taclion de toute une armée s'attribue au chef qui la commande. » On ne saurait plus agréa- blement flatter, ni mieux dire. Nous n'avons pas à faire la vie de Voltaire. iSous ne pouvons résister cependant au désir d'en résumer le portrait quelque peu humo- ristique qu'en trace à grandes lignes M. Ar- sène Houssaye : « La vie de Voltaire est une comédie en cinq actes, en prose, où rayonne la raison humaine dans le génie français. Le premier acte se passe à Paris avec les grands seigneurs et les comédiennes ; il com- mence aux fêtes du prince de Gonti et finit à la mort de M"^ Lecouvreur... C'est l'époque de la Bastille et de l'exil... Voltaire est déjà l'ami des rois et l'ennemi de leur royauté, car .il pressent la sienne. Gomme les dieux de l'O- lympe, il a franchi l'espace en trois pas... Le second acte se passe au château de Gi- EN FRANGE. lil rey et à la cour du roi Stanislas. Ce deuxième acte peut s'appeler l'amour de la science et la science de l'amour... Le troisième acte se passe à la cour de Frédéric II, à Berlin, à Postdam, à Sans-Souci. C'est une caricature du Sunium et du Palais- Royal... Le quatrième acte se joue à Ferney. Le roi Voltaire prend pied du même coup dans quatre pays, en attendant qu'il règne partout. Il a une cour, il a des vassaux, il a des curés ; il bâtit une église ; il baptise tous les caté- chumènes de la philosophie de l'avenir; il apprend l'amour aux puritaines de Genève ; il dote la nièce de Corneille ; il venge la famille de Calas, il plaide pour l'amiral Byng, pour Montbailly, pour la Barre, pour tous ceux qui n'ont point d'avocat. Le cinquième acte se passe à Paris comme le premier; mais cet homme, qui, au début de l'action, était embastillé, proscrit, revient en conquérant. Tout Paris se lève pour le sa- 112 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE luer ; T Académie croit qu'Homère, Sophocle et Aristophane sont revenus sous la figure de Voltaire ; la comédie le couronne de l'immor- tel laurier. Mais il est bien question du poète à cette heure suprême I Paris tout entier le tue dans ses embrassements, ce roi de l'opi- nion qui lui apporte en mourant la conquête des droits de l'homme. » Notre âge peut se rendre compte de l'en- thousiasme qui mit alors Paris aux pieds de Voltaire, par l'apothéose que, dans ces der- niers temps, Paris fit à Victor Hugo. Si le philosophe, enivré de gloire, adressa un jour à Paris, qui le portait en triomphe, le reproche de vouloir « l'étouffer sous des roses, » c'est surtout le poète que, l'année dernière, dans un jour de triomphe aussi, ce même Paris couvrit de ses lauriers. Mais laissant de côté ses autres titres de gloire, nous avons particulièrement à étudier Voltaire comme critique. A vrai dire, si les tendances de son esprit EN FRANCK. 113 le portaient naturellement vers la critique, les luttes qu'il eut à soutenir, le concours des cir- constances auxquelles il fut mêlé, ne contri- buèrent pas peu à développer, à perfectionner ces dispositions naturelles. La morale ne l'embarrassait guère. Au sor- tir du collège, il se voyait introduit au Temple, chez le grand prieur de Vendôme, et dans les autres sociétés où régnait l'esprit de Ninon. Il se fit dès lors le disciple et l'imitateur de ce vieil abbé de Ghaulieu, qui était le poète et le philosphe de ce petit monde épicurien. Ce n'é- tait pas sans doute pour un jeune homme la meilleure entrée dans la vie, et Voltaire prit là un pli qui ne s'eflFaça jamais. On ne peut guère, il est vrai, lui reprocher des excès, dont le préservaient son tempérament et son esprit, également délicats, mais ces excès avaient perdu, pour lui, de l'horreur naturelle qu'ils inspirent, et il n'admit d'autre règle de mœurs qu'une certaine modération dans le plaisir, comme en toutes choses. 114 HISTOIRE DE LÀ CRITIQUE LlTTÉRÂlhE Ses premiers vers, galants ou satiriques, lui valurent d'expérimenter de bonne heure les abus d'un pouvoir arbitraire. Relégué une pre- mière fois hors de Paris, en 1716, il fut l'an- née suivante jeté à la Bastille. Quand il en sortit, après une année de captivité employée à de nombreux travaux, il lança sur le théâtre sa tragédie d Œdipe. Le succès en fut écla- tant. On put croire que Corneille et Racine allaient renaître. Ce fut Touverture de la car- rière de Voltaire. Il avait alors vingt-quatre ans. La Uenriade^ composé sous les verroux de la Bastille, parut bientôt après. On sait l'his- toire de son exil en Angleterre, sur la demande du chevalier de Rohan, dont Voltaire avait re- levé l'impertinence par des paroles piquantes. De retour en France, il donna au théâtre 5rw- tus (1730), et sa tragédie de Zaïre (1732), dont le succès mit le comble à sa réputation d'auteur dramatique. A ce moment, l'Acadé- mie française allait lui ouvrir ses portes, lors- EN FRANGE. 115 qu'il se les ferma lui-même à plaisir, en pu- bliant cette œuvre gracieuse et délicate de cri- tique, en vers et en prose, qu'on appelle le Temple du Goût (1733), charmant et sérieux badinage où brille la plus fine fleur de l'es- prit français, ce qu'on pourrait appeler la grâce du bon sens. Mais, malgré l'épigraphe: Nec iœdere^ necadulari^ il caressait doucement la vanité de quelques-uns de ses confrères, en blessant mortellement celle du plus grand nombre. Il conamença dès lors à satisfaire à outrance ses rancunes par des satires et des pamphlets : Il rime contre le malheureux J.-B. Rousseau sa Crépinade{n3i)^ et, pour mieux le diifàmer, il écrira isa Vie (1738). Néanmoins les haines qui lé poursuivaient et qu'il était bien décidé à ne pas désarmer par le silence, lui inspirèrent la résolution de se tenir désormais à distance du lieu d'où par- taient les lettres de cachet, afin d'avoir le temps, au besoin, d'amortir les coups ou de se mettre à l'abri. C'est ce qui le déterminera 116 HISTOIRE DE LA GHITIQUE LITTÉRAIRE à se retirer en Lorraine, au château de Cirey, chez une amie, la marquise du Ghâtelet. Ce sera là le meilleur temps de sa vie. Il y vivra en communauté d'esprit, de cœur, de goûts et de travaux avec une femme qui, dit-il, « li- sait Virgile, Pope et Talgèbre comme un ro- man, » cœur de femme avec un esprit d'homme. Ce fut un espèce de mariage, autorisé par les mœurs de l'époque, et la seule affection sé- rieuse et soHde, sinon très-passionnée, que Voltaire ait jamais eue pour une femme. De son séjour en Angleterre, Voltaire avait rapporté des notes critiques sur la religion, la philosophie, la politique et la littérature de ce pays. Après deux ans d'hésitation, les Lettres philosophiques sur les Anglais^ annoncées et attendues avec une curiosité inquiète, furent imprimées clandestinement en 1734. Alors, un violent orage éclata contres les Lettres. Le clergé les fit supprinîer par un arrêt du Conseil. La grande Chambre du Parlement alla plus loin et les condamna au feu. EN FRANCE. 117 La publication de YEpître à Tirante^ où la révélation chrétienne est ouvertement atta- quée, renouvela la tempête. (1 Ce qui surprend le plus, dit M. Michelet, c'est que les grands orages lui viennent à cha- que instant pour des productions très-légères autant que pour des livres hardis. Pour le Temple du goût^ il est persécuté. Persécuté pour une épître à Uranie. Madame du Ghâtelet est toujours dans les transes. En 1734 et 1735, ils respirèrent à peine. En plein hiver, alerte, (26 décembre) ; il s'en va de Girey, se met en sûreté. Autre plus grave en décembre 1736, pour la plai- santerie du Mondain^ et cette fois il part pour la Hollande. Elle le suit. Les voilà sur la neige à Vassy, 4 heures du matin. Elle pleure. Va- t-elle revenir seule dans ce Girey désert ? ou va-t-elle avec lui en laissant là ses enfants, sa famille ? Tout souffreteux qu'il fût, seul il passa l'hiver dans cette froide et humide Hol- lande, caché le plus souvent, redoutant à la 7* 118 HISTOIRE DE lA CRITIQUE LITTÉRAIRE fois la haine de nos réfugiés, et les calomnies catholiques du vieux J.-B. Rousseau. » Cette Epître à Uranie avait été composée de 1720 à 1721, et elle avait couru longtemps manuscrite, sous le pseudonyme du défunt abbé de Ghaulieu. Gomme idée, cela ne dépas- sait peut-être pas les esprits forts d'alors, mais il y avait une verve, une vie, une ardeur d'expansion tout à fait nouvelles. Elle fut pu- bliée, dit-on, contre le gré de l'auteur. Voltaire la désavoua. Il adopta dès lors un plan de conduite, mélangé cP audace et de souplesse^ comme dit son biographe Gondorcet : reniant les œuvres trop compromettantes, les publiant sous des pseudonymes, rusant, louvoyant et avançant toujours. Ge système l'a fait accuser parfois de manquer de courage, et c'est à tort car il le poussait même souvent jusqu'à la bravade. On sait son mot au lieutenant de Po- lice Hérault : « Monsieur, lui demanda-t-il un jour, que fait-on à ceux qui fabriquent de fausses lettres de cachet ? — On les pend. — BN FRANGE. il9 C'est toujours bien fait, en attendant qu'on traite de même ceux qui en signent de vraies.» Mais si ce n'était pas un manque de courage, cela pouvait être un manque de dignité, surtout dans les discussions littéraires, car toutes les fois que Voltaire pourra employer contre ses ennemis une arme plus brutale que le sar- casme ou le rire, plus dangereux et plus sûre, il n'aura garde d'y manquer. «Jusqu'à son dernier jour, dit M. Brune- tière, il aura quelque peine à concevoir qu'un gouvernement bien réglé permette aux Des- fontaisnes, aux Fréron, aux La Beaumelle, d'écrire contre un Voltaire. Aussi, quand il briguera l'entrée de l'Académie française ou de l'Académie des sciences, ne sera-ce pas seulement vanité d'homme de lettres et glo- riole de poète, ni même plaisir de triompher de la Cabale et de l'emporter sur un évêque ; c'est que les Académies « sont des asiles contre l'ar- mée des critiques hebdomadaires, que la police oblige de respecter les corps littéraires. » 120 HISTOIRE DE L4 CRITIQUE LITTÉRAIRE « Nous en devons l'aveu naïf au plus naïf de ses biographes, à Gondorcet. » Nous croyons devoir rapprocher de ce ju- gement l'opinion de M. Paul Albert, à propos des ennemis de Voltaire : « On a versé des pleurs plus ou moins dé- sintéressés sur ceux qui eurent la maladresse de se faire les ennemis de Voltaire, les Des- fontaines, les Fréron, les La Beaumelle : en vérité, voilà de joUs clients à défendre. Disons tout simplement que Voltaire eut le tort de se commettre avec de tels drôles ; qu'il n'était pas digne de lui de relever les calomnies et les outrages partis de si bas. Ajoutons môme qu'il fut impitoyable dans ses représailles, qu'à plusieurs reprises les misérables deman- dèrent grâce, et qu'il continua à les frapper à terre. Je veux bien blâmer cet acharnement, mais j'avoue qu'il m'est impossible de plaindre les victimes. Il ne savait aimer ni haïr à demi. » Et M. Paul Albert ajoute : EN FRANCE. 121 « Od Ta accusé d'avoir été jaloux, envieux même. 11 y a dans la tragédie de Tancrède un vers qui souleva à la représentation de 1760 les applaudissements de toute la salle ; elle en fît aussitôt l'application à l'auteur. De quiy dans Vunivers, peut-il être jaloux ? DeJ. B. Rousseau, notre grand lyrique, comme on disait alors ; de Grébillon, notre grand tragique, de Montesquieu, de Rousseau, de BuflFon ? Qu'il ait été agacé de se voir sans cesse jeter à la tète les noms de Jean-Baptiste Rousseau et de Grébillon qu'on ne louait tant que pour le rabaisser, cela est certain ; qu'il ait été impatient de les remettre à leur place et de prendre la sienne, on ne peut en douter: il avait la conscience de sa valeur, il était poète, irritable, et il voyait bien qu'on cher- chait à lui faire pièce. Quant à Montesquieu et à BuflFon, il leur rendait justice, mais les aimait peu. Il exécrait Rousseau et se déchaîna contre lui. Il y avait entre eux la plus com- 122 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE plète antipathie de nature. Gela n'excuse pas les torts de Voltaire, mais cela les explique. Quant aux autres gens de lettres, il fut leur protecteur et leur ami. Il offrit à Diderot et à d'Alembert persécutés à Paris, de venir s'ins- taller avec leurs collaborateurs à Ferney, pour y achever paisiblement r Enclydopédie ; il lança Marmontel, accabla de ses bienfaits La Harpe, qui plus tard ne s'en souvint guère. » Quel que soit le peu de cas que M. P. Albert fasse des ennemis de Voltaire, il est certain que celui-ci était loin d'être insensible à leurs attaques. En 1735, dans les Observa- tions sur les écrits modernes^ il se trouva des critiques qui irritèrent vivement le grand homme, dont la modestie était le moindre dé- faut. Ces critiques étaient de Desfontaines, qui avait pourtant certaines obligations envers Voltaire et qu'un sentiment de reconnaissance eût dû rendre plus circonspect. Après avoir passé quinze ans chez les jésui- tes qui l'avaient envoyé professer la rhétori- RH FRANCE. 123 que à Bourges, Desfootaines était venu à Paris, où il fut admis parmi les rédacteurs du Journal des Savants^ et publia différents re- cueils périodiques. Accusé alors d'un crime honteux, il fut jeté en prison, et il était sur le point d'être con- damné aux galères, lorsqu'il implora la protec- tion de Voltaire, qui fit agir des amis puis- sants et obtint la mise en liberté de Desfon- taines. Le séjour de. Paris lui fut cependant interdit jusqu'en 1731. Tel est l'homme qui se fit le critique de Voltaire. Celui-ci, dans le Préservatifs publié sous le nom du chevalier de Mouhy, signale les bé- vues de Desfontaines, qui réplique par la Vol- tairomanie[ilS8) et le Médiateur (1739), ra- mas d'anecdotes scandaleuses qui émurent vi- vement Voltaire et dont il poursuivit et obtint le public désaveu. 11 écrivit aussi contre l'ex- jésuite une comédie satirique, VEnvieux^ que sur les instances de M""' du Ghâtelet, il renonça à faire représenter. i24 HISTOIRE DE LÀ CRITIQUE LITTÉRAIRE La lutte une fois engagée se poursuivit sans intermittence jusqu'à la mort de Desîontaines qui, moins puissant que Yoltaire avait forcé- ment le dessous et ne se relevait pas facile- ment des coups que lui portait le vindicatif Arouet. On raconte qu'un jour le comte d'Ar- genson lui reprochait ses critiques amères et injustes contre les gens de Lettres. Le satiri- que se débattait, puis pour dernière raison : « Monseigneur, lui dit-il, il faut pourtant bien que je vivel — Mais, répliqua {(pidement le Ministre, je n'en vois pas la nécessité.» Cependant des déceptions de countisans et de poète, des froissements d'amour-propre, les succès de cabale faits à Grébillon, et aussi les critiques acerbes de Fréron qui remplaça Des- fontaines comme ennemi en titre, contraigni- rent Voltaire, vers la fin de i746, à s'éloigner de Paris et de Versailles. Pendant quelques mois, il se tint rigoureusement caché, avec madame du Châtelet, chez la duchesse du Maine, au château de Sceaux. EN FRANCE. 125 Quoique s'attaquant à beaucoup plus fort que lui, ce Fréron, dont il est question, ne mé- ritait pas absolument, comme critique, le dé- daigneux mépris dont le gratifie M. P. Al- bert. Une manquait ni de goût, ni de talent. « Pour beaucoup de gens, — dit M. Villemain, — le scandale est un succès. Fréron Fobtint. Abondamment pourvu d'idées communes, écrivant facilement d'un style médiocre, il im- prima deux cents volumes de critique, dont le but principal est Voltaire. » Ce jugement est vrai. Certes, Fréron était sec et froid, plus rhéteur qu'écrivain, mais c'était avant tout un polémiste et sa principale force était dans l'ironie. Avouons, si Ton veut, qu'il ait trop souvent dépassé les bornes de la critique et qu'il se soit fait une habitude du libelle ; di- sons que ce fut un homme équivoque ; mais ne le croyons pas si méprisable que l'ont dé- peint les ennemis que ses attaques lui atti- raient. Un de ses panégyristes, M. Ch. Mon- selet, nous montre en lui<( un joyeux compa- 126 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE gnon, menant grand train et faisant bom- bance. » Ce n'est pas là sans doute un mérite, ni un titre de gloire, mais on n'en peut pas dire autant du premir venu, et cela ne prouve pas que Fréron fût un sot. C'est surtout par sa lutte contre Voltaire qu'il est resté célèbre. Entre ses nombreux ennemis, Fréron est l'élu de son choix, et c'est pour lui que Voltaire aiguise ses traits les plus acérés. On connait la fameuse épi- gramme. L'autre jour, au fond d'un yaUon, Un serpent mordit Jean Fréron. Que pensez-vous qu'il arriva?... Ce fut le serpent qui creva { Il fit aussi contre son ennemi la plus Viru- lente de ses ssAires^le Pauvre Diable^ et cette comédie Aristophànesque de l'Ecossaise^ qui eut un si grand retentissement et où Fréron paraît comme un pamphétaire vénal, impu- dent et avili. Cette pièce fut jouée sur la scène du Théâ- EN FRANCE. 127 tre Français le 16 juillet 1760.. Fréron était représenté sous le nom de Wasp, (en anglais Guèpé)^ nom qui, dans la pièce imprimée, est remplacé par celui de Frelon. Le critique, si violemment exécuté, ne perdit rien de son calme. Il assista aux deux premières représen- tations de rEcossaise et en fit un compte- rendu ironique et sans injure sous le titre de « Relation de la grande bataille. » a Voltaire rencontra d'autres adversaires ; — dit encore M. Villemain*, — le besoin de leur répondre a grossi la collection de ses œu- vres. On peut leur pardonner; c'est un des service que la critique injuste rend au pu- blic. » Nous pouvons à peine nommer en passant, parmi les incessantes productions de Voltaire, ses tragédies A'Alzire^ de Mahomet^ de Mé- rope^ sa comédie de Nanine^ et son Histoire de Charles XIl^ l'un des chefs-d'œuvre de la littérature française. Vers 1840, il avait com- posé VEssai sur les mœurs et l'esprit des 128 HISTUIHE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE Nations^ de Charlemagne à Louis XIII. Cet ouvrage, écrit pour madame Du Châtelet, est Tune des œuvres capitales du xviii* siècle. C'est la suite et le contre-pied du Discours sur r Histoire Universelle de Bossuet. Longtemps inédit, il ne parut qu'en 1757. Personne n'ignore comment le jeune prince royal de Prusse s'était attaché à Voltaire avec un enthousiasme devenu bientôt réciproque et dont une volumineuse correspondance nous a conservé le souvenir. Lorsqu'il fut monté sur le trône, il fit de grands efforts pour attirer son « cher maître^ » non point à sa cour, — il n'avait pas de cour, — mais dans le château où il vivait dans l'in- tervalle de ses batailles, au sein d'une colonie de savants et de littérateurs. Tant qu'il fut retenu par son affection pour i5'm272> (Madame du Châtelet), Voltaire résista. Malgré l'infidélité de cette femme qui s'était laissé entraîner à la faiblesse d'un nouvel atta- chement pour un jeune homme (Saint-Lam- EN FRANCE. {29 bert), ce ne fut qu'après sa mort qu'il accepta les propositions de Frédéric et qu'il partit pour Berlin (1750.) Ce séjour de Voltaire en Prusse ne resta pas infécond. Il y eut pour lui, dans cette so- ciété étincelante de verve et de gaieté sarcas- tique, quelques mois d'un véritable enchante- ment. Laissons de côté les justes raisons poli- tiques qui nous feraient lui adresser, avec un sentiment, sinon de blâme, du moins de re- gret, le reproche d'avoir accepté l'hospitalité prussienne. Jamais, peut-être, regret ne fut plus éloquemment formulé que par M. Bru- netière. Mais notre rôle d'historien est avant tout de constater la réalité des faits, et c'est un fait constant que Voltaire se trouva d'abord fort heureux auprès de Frédéric. Partagé en- tre le travail et le plaisir, — plaisir de l'es- prit, le premier qu'il eût toujours goûté, de- venu maintenant Tunique pour lui, — il sem- blait n'avoir jamais si pleinement vécu. Le feu jaillissait à jet continu de sa plume comme 130 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE de sa bouche. C'est alors qu'il termina son £lssai sur les mœurs des nations^ ainsi que son Histoire du siècle de Louis XIV. Commencé vingt ans auparavant, cet ouvrage fut plu- sieurs fois repris sous l'inspiration persistante de Voltaire pour sori héros. C'est un monu- ment élevé au génie classique par l'esprit le plus capable de le comprendre et de le célé- brer. Voltaire est entré dans les secrets de la perfection littéraire du xvii* siècle, av<5C une pénétration et une sûreté qui n'ont pas été dé- passées môme par les plus compétents et les mieux renseignés des critiques postérieurs. Accueilli avec enthousiasme et critiqué avec acharnement, il fut réimprimé huit fois en huit mois. C'est à Berlin que Voltaire rencontra l'un de ses plus terribles adversaires, La Beau- melle. La Beaumelle était déjà à Berlin quand Vol- taire y arriva. II essaya de se lier avec le philo- sophe, qu'il avait cependant directement at- BN FRANCE. 131 taqué dans son livre intitulé: « Mes pensées », Mal accueilli, il ouvrit contre Voltaire une lutte qui n'eut plus de trêve. De retour à Paris, La Beaumelle publia en trois volumes ses « notes sur le siècle de Louis XIV. » Dans ce volumineux pamphlet, toutes les attaques n'étaient pas dirigées con- tre son ennemi Voltaire; il se livrait aussi à de blessantes personnalités contre le duc d'Or- léans. Cette imprudence lui coûta une année d'emprisonnement à la Bastille. A peine sorti, il recommença la lutte par ses Lettres à M. de Voltaire en réponse au supplément du siècle de Louis XIV. En même temps, Voltaire recevait un grand nombre de lettres anonymes, assurément peu flatteuses pour son amour-propre. Ses enne- mis l'accusèrent même faussement de les avoir fabriquées lui-même. Mais le philosophe, qui savait à quoi s'en tenir sur cette accusation, crut sincèrement, à tort ou à raison, qu'elles venaient de La Beaumelle. Aussi fit-il à ce 132 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE dernier une réponse dont il est même difficile d'excuser la violence. Affirmer, par exemple, de La Beaumelle que par distraction : « Il prend d'autrui les poches pour les siennes, » c'est dépasser sans contredit les bornes de la discussion permise. Du reste, tout n'était pas profit pour Vol- taire dans son commerce avec la cour de Fré- déric : « C'est là, sans doute, dit fort bien M. Bru- netière, à Postdam, à Berlin, qu'il avait puisé cette science de la réalité, cette défiance ou même ce dédain des idées et des maximes gé- nérales, ce goût du détail, ce souci de l'exac- \ titude et cette précision du langage qui sont, comme historien, son vrai titre de gloire et de supériorité... Mais ce furent surtout ses qua- lités — et ses défauts aussi — de polémiste et de pamphlétaire que les libres propos des sou- pers de Postdam aiguisèrent. Auprès de Fré- déric il se perfectionna dans l'art de mentir sans scrupule, de plaisanter avec cynisme, EN FRANCE. 133 dans cet art difficile, mais grossier, de prolon- ger^ de soutenir le sarcasme, et dans cette habitude honteuse de n'adorer que le succès, de ne respecter que la victoire, de ne redouter que la force. Dans cette grande caserne, il acheva d'enrichir son vocabulaire, déjà si ri- che en injures, des expressions, des poHsson- neries, et des gros mots du corps de garde. C'est là qu'il apprit à qualifier un Jean-Jac- ques « de bâtard du chien de Diogène », un La Beaumelle, un Fréron, tant d'autres en- core, en des termes qu'on n'oserait transcrire, et qu'il échangea, pour une licence toute sol- datesque, cette aristocratie de langage et cette élégance de style dont il avait jadis donné le ton aux salons de Paris. » M. Nisard avait dit avant M. Brunetière : « Frédér ic, c' est le grand corrupteur de Voltaire... De tels amis n'ont pas pu se faire dê^bîen... mais celui qui a le plus perdu dans ce commerce entre inégaux, c'est l'écri- vain. 8 134 HISTOIRE DE LÀ CRITIQUE LITTÉRAIRE Aussi, le désenchantement vint vite pour Voltaire. L'égoïsme tyrannique de Frédéric, l'ardente susceptibilité de l'écrivain, amenè- rent bientôt des refroidissements, des brouilles suivies de réconciliations mal assurées. Sans doute, ils ne purent s'empêcher d'avoir un at- trait l'un pour l'autre. Le philosophe et le roi renouèrent plus tard, et de loin ; mais Voltaire ne pardonna qu'à demi : on peut s'en con- vaincre par la lecture de ses terribles Mé- moires secrets. On sait, d'ailleurs, que Voltaire s'était vite fatigué à corriger la prose et à re- dresser les vers du roi. Il avait dit un jour qu'il en avait assez « du linge sale à laver. » De son côté, Frédéric avait dit : « Laissez faire, on presse l'orange et on la jette quand on a avalé le jus. » Voltaire n'attendit pas et réso- lut, dès lors « de mettre en sûreté les pelures de l'orange. » « Echappé des griffes prussiennes, dit M. H. Martin, Voltaire se fit une solitude éclatante pour agir. Les Délices et Ferney lui EN FRANCE. 135 firent comme un petit royaume. Toute l'Eu- rope le voyait de loin, assis, comme le dieu des tempêtes, entre les Alpes et le Jura ; et la philosophie eut son lieu de pèlerinage, où les adeptes des idées nouvelles devaient, durant vingt ans et plus, venir saluer leur patriarche, et où affluèrent jusqu'aux souverains. » C'est, en effet, de sa retraite de Ferney que Voltaire étonne et remue le monde, pendant vingt-trois ans, par des écrits plus nombreux, plus variés, plus hardis que jamais. Entre tant d'œuvres, il faut choisir celles qui se rap- portent plus spécialement à notre sujet. Tel est son poème sur le désastre de Lisbonne^ ou ^ examen de cet axiome : tout est bien ; — pro- duction poétique courte et grave tout à la fois, qui fit beaucoup de bruit. On connaît ces beaux vers : « Un jour tout sera bien » : Voilà notre espérance. « Tout est bien aujourd'hui » : Voilà l'illusion. Les sages me trompaient et Dieu seul a raison. J.-J. Rousseau publia aussitôt contre ce 136 HISTOIRE DE LA CRITIQUR LITTÉRAIRE poème une réfutation chaleureuse. Dès lors, l'opposition entre eux ne cessa de s'aggraver, et plus tard un autre poème de Voltaire, la guerre civile de Genève^ montre le degré d'exaspération où elle était parvenue. Dans ce tableau héroï-comique des amours de Go- velle, condamnées par l'austère république, Voltaire met en scène l'illustre misanthrope avec sa triste compagne, et l'un et l'autre sous des traits injurieux. Mais il est une œuvre de Voltaire qui enve- loppe, pour ainsi dire, toutes les autres, et qui leur sert, comme à sa vie elle-même, de per- pétuel commentaire : c'est sa correspondance, trésor inépuisable de souvenirs, d'idées, d'es- prit, de bon sens, de verve excessive parfois, de naturel toujours et souvent d'éloquence. Ses écrits de polémique courante sont innom- brables, et presque tous supérieurs. « S'il y avait à préférer dans l'excellent, dit M. Nisard, je préférerais dans les lettres de Voltaire celles dont le sujet est littéraire. Je EN FRANCE. 137 voudrais qu'on en fît un recueil. Ce cours de littérature sans plan et sans dessein, cette poétique sans dissertation, cette rhétorique sans règles d'école, seraient un livre unique* Voltaire parle des choses de Tesprit comme on parle entre honnêtes gens qui songent plus à échanger des idées agréables qu'à se faire la leçon. Les genres sont sentis plutôt que défi- nis, et leurs limites plutôt indiquées comme des convenances de l'esprit humain que jetées en travers des auteurs comme des barrières. LejggûLlllest pas une doctrine, encore moins une science; c'est le bon sens dans le juge- n aent d esjivres et des écrivains... Aussi, je ne sache pas de meilleur guide que sa correspon- dance pour apprendre à lire et à juger les écri- vains des deux derniers siècles et Voltaire lui- même. Il a vu tous ses côtés faibles ; et comme s'il eût trouvé moins dur d'aller au-devant de la critique que de l'attendre, il a fait sa pro- pre confession. Il aimait si peu les censeurs qu'il était homme à leur enlever par malice la 8* 138 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE primeur de leurs critiques, et à garder sur eux l'avantage de voir ses propres défauts avant eux. Peut-être par une dernière illusion de Tamour-propre, espérait-il qu'on le défendrait contre ses scrupules, et que ses péchés avoués lui seraient remis. En toutxîas, on n'a pas be- soin de chercher des témoins pour lui faire son procès : on a les aveux du coupable. » Concluons de cette étude que ce qui frappe par dessus tout dans Voltaire, c'est l'action qu'il lui a été donné d'exercer non moins dans les Lettres que dans la philosophie. Jamais homme de lettres n'avait eu une telle influence. Il est le souverain de son siècle, et Frédéric, en donnant, un siècle à l'avance, un titre à l'ouvrage d'Arsène Houssaye, en l'appelant « le roi Voltaire » , lui avait donné son vrai nom. Aussi ses phis illustres ennemis n'ont- ils pu se défendre de l'admirer, et même leur * chef, Joseph de Maistre, pour conclusion des plus ardentes invectives, proposera de lui élever une statue... par la main du bourreau ! EN FRANCE. 139 Au-dessous de Voltaire, à différents de- grés, il faut placer les autres critiques du xviif siècle, tels que: Tétincelant Diderot, le savant d'Alembert, Temphatique Buffon, le compassé Marmontel, le consciencieux La Harpe, la brillante M""* de Staël, le mobile Ghénier ; puis des professeurs, publicistes et journalistes, comme Lemercier, Benjamin Constant, Feletz, Hoffmann, Geoffroy, prédé- cesseurs immédiats de notre temps. Déjà nous avons signalé la régénération que Diderot tenta dans Fart dramatique et dont il exposa brillamment la théorie. Ses idées, qu'il voulut inaugurer par des œuvres, et qu'il défendit avec ardeur, n'eurent point en France, de son vivant, le succès qu'il en attendait. Mais elles passèrent en Allemagne, où elles firent fortune, pour reparaître chez nous, cin- quante ans plus tard, dans les manifestes de l'école romantique. Ce que nous ne devons pas omettre de rap- peler, c'est que l'honneur de rEncyclopédie 140 HISTOIRE DE LÀ CRITIQUE LITTÉRAIRE revient particulièrement à Diderot. C'est lui qui en eut Tidée, qui trouva un éditeur, des collaborateurs, des souscripteurs. Et si l'En- cyclopédie fut continuée, terminée, c'est en- core grâce à Diderot. Dès 1759, d'Alembert, dont il estimait surtout la collaboration, s'était retiré, fatigué sans doute des persécutions, des calomnies sans nombre lancées contre l'ou- vrage et les rédacteurs. Rousseau aussi s'était séparé avec éclat, et, dit un critique, « ses cris emportés se joignaient aux sourdes me- naces des intolérants. » Ceux-ci n'épargnaient point Diderot ; on l'outrageait dans des poèmes orduriers, on le baflfouait en plein théâtre ; il était vilipendé dans les libelles des Chaumeix, des Fréron, des Palissot. Il pouvait craindre pour sa tête. Voltaire lui offrit un abri ; l'im- pératrice de Russie l'appela auprès d'elle. l\ resta, attendant, impassible ; et il écrivit un jour à Voltaire cette lettre qui mérite d'être rapportée : « Je connais tous les dangers dont vous me EN PHANCB. 141 parlez... Mais que voulez- vous que je fasse de r existence si je ne puis la conserver qu'en renonçant à tout ce qui me la rend chère ? Et puis je me lève tous les matins avec Tespérance que tous les méchants se sont amendés pendant la nuit, qu'il n'y a plus de fanatiques, que les maîtres ont senti leurs véritables intérêts, et qu'ils reconnaissent enfin que nous sommes les meilleurs sujets qu'ils aient.^ C'est une bêtise, mais c'est la bêtise d'une belle âme qui ne peut croire longtemps à la méchanceté. . . Si j'avais le sort de Socrate, songez que ce n'est pas assez de mourir comme lui pour mé- riter de lui être comparé, a Les contemporains appelaient Diderot le philosophe; Voltaire le saluait du nom de Platon ; quant à lui, il prenait volontiers celui de Socrate, comme il lui arrive encore de le faire dans cette lettre que nous venons de re- produire. Nous savons que d'Alembert s'était retiré de l'Encyclopédie bien avant son achèvement. 142 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE Le nom de d'Alembert n'en reste pas moins inséparable de celui de Diderot. En réalité, si ce fut Diderot qui conçut le projet de ce vaste répertoire des connaissances humaines, ce fut d'Alembert qui en traça le plan et en indiqua Tesprit dans ce fameux Discours pré- liminaire qui devait ouvrir à Tauteur les por- tes de l'Académie en 1754. D'un seul coup, ce Discours établit hautement la réputation de d'Alembert, non seulement en France, mais à l'étranger. On lui proposa tour à tour l'édu- cation du grand duc de Russie, avec 100,000 livres de rente, et la présidence de l'Acadé- mie de Berlin. Vingt-cinq ans plus tard, le Satirique Gil- bert dira : Et ce froid d'Alembert, chancelier du Parnasse, Qui 86 croit un héros et fit une préface I Cette préface est restée et restera au nom- bre des ouvrages qui honorent le plus la pen- sée humaine. Elf FRANCE. 143 Plusieurs littérateurs ont vivement critiqué les opinions de d'Alembert en matière de goût. Villemain a été jusqu'à dire, sans restrictions, qu'il en avait traité « avec des vues étroites, mesquines, paradoxales, sans être piquantes. » Cette opinion paraît sévère. Sans prétendre que d'Alembert soit un grand écrivain, il faut lui reconnaître les qualités d'un bon écrivain et le rare mérite de s'être apprécié à sa juste valeur dans le mémoire qu'il composa sur lui-même, et où il se juge ainsi: (( Son style serré, clair et précis, ordinaire- ment facile, sans prétention, quoique châtié, quelquefois un peu sec, mais jamais de mau- vais goût, a plus d'énergie que de chaleur, plus de justesse que d'imagination, plus de noblesse que de grâce. » Parmi les nombreux ouvrages ou opuscules de d'Alembert, celui qu'il conviendrait peut- être de placer en première ligne et qui eut un grand retentissement à l'époque où il pa- rut, c'est V Essai sur la société des gens de let- 144 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE très avec les grands. « C'est là, dit M. P. Al- bert, qu'il faut chercher d'Alembert écrivain, c'est là qu'il a tout son prix. » Gondorcet avait dit : « Peut-être devons nous en partie à cet ouvrage le changement qui s'est fait dans la conduite des gens de lettres : ils ont senti enfln que toute dépendance personnelle d'un Mécène leur ôtait le plus beau de leurs avan- tages, la liberté de faire connaître aux autres la vérité, lorsqu'ils l'ont trouvé. » Un mot sur Palissot, à propos de l'Encyclo- pédie. Si nous en parlons, c'est qu'en 1760, son nom flt quelque bruit, quoique depuis, la postérité l'ait justement remis à sa place. Avant tout, soucieux de son existence, comme Desfontaines, il voulut manger à deux râte- liers. Il conçut le hardi projet d'être le pro- tégé de Voltaire et l'ennemi des philosophes. En même temps qu'il adressait des lettres adulatrices au patriarche, il attaquait l'Ency- clopédie et offrait sa plume à Fréron, avec qui il fit campagne dans \ Année littéraire. Son EN FRANCE. 145 pamphlet, intitulé Petites lettres contre de grands philosophes^ était fort agréable, très méchant, sans aucune bonne foi. Il attaquait surtout Diderot, et traitait d'emphase et de galimatias son éloquence et son enthousiasme. A Palissot, opposons un nom plus respec- table dans la critique, celui de Morellet, qui écrivit précisément la Vision de Palissot^ pe- tit chef-d'œuvre où Fauteur, en quelques stro- phes, représente Palissot, dans son galetas, les dents longues, rêvant une œuvre qui lui donne de quoi dîner. L'abbé Morellet écrivit entre autres volumes ses Mélanges de littérature et de philosophie du xvni' siècle, et des Remarques critiques et littéraires sur la prière universelle de Pope. Il se fît en plusieurs circonstances le défen- seur de Voltaire, qui, par allusion à son talent de polémiste, l'appelait l'abbé Mords-les. C'est de lui que Marie-Joseph Ghénier disait: Enfant de soixante ans qui promet quelque chose 1 146 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE Il est vrai qu'il vécut jusqu'à 93 ans. Sa- luons en passant BuflPon, car c'était un rude travailleur que celui qui pouvait dire : <* J'ai passé cinquante ans à mon bureau ! » Nous n'avons pas à rechercher dans Buffon la valeur et l'originalité du savant. Il eut l'in- contestable mérite de conquérir, par les grâ- ces de son style, un public à la science. « BufiFon, dit avec raison M. Villemain, par le caractère seul de ses recherches, la sublimité de ses conjectures, de ses paradoxes môme, agitait les esprits, appelait de loin les décou- vertes et créait ce qu'il ne savait pas encore. » On sait le mot échappé à Voltaire un jour qu'on citait devant lui Y Histoire naturelle : « Pas si naturelle! » — dit-il, en faisant allusion au style de Buffon. On connaît aussi ce vers sa- tirique du môme Voltaire à Buffon : « Dans un style ampoulé» parlez-nous de physique. » Mais Buffon appartient spécialement à la critique par son Discours de réception à îAca- EN FRANCE. 147 demie française^ qualifié d'ordinaire plus briè- vement de Discours sur le style. Il définit le style : « Tordre et le mouvement qu'on met dans ses pensées. » C'est une idée, toute car- tésienne et classique, qui fait de Buffon un écrivain du xvii* siècle par le style, quoiqu'il soil du xvui* par certaines vues nouvelles. Son discours n'est qu'un commentaire du « lucidus ordo » d'Horace. Le style de Buffon amène facilement dans l'esprit une comparaisoa avec celui de Mar- montel. « Le xvm' siècle sans Marmontel, a-t-on dit, ne serait pas complet. On ne le lit plus guère, mais on l'a lu avec passion, autant que Voltaire et que Rousseau, plus que Montes- quieu et que Gondillac. » Il fut lié avec Vol- taire qui l'avait lancé et recommandé à toutes les personnes qui pouvaient lui être de quel- que secours, ainsi qu'avec Diderot et la plu- part des encyclopédistes. Mais, en homme heureux et adroit qui craint de se compromet- 148 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE tre, en véritable type de Thomme de lettres qui veut faire son chemin, il ne donna à TEncyclopédie que des articles de pure littérature. Ces remarquables articles furent réunis sous le titre (T Eléments de littérature. « Marmontel, dit M. Villemain, avait beau- coup d'esprit, mais il en abusa d'abord pour se former des erreurs systématiques auxquel- les il renonçait avec peine..... Son ouvrage (Elémerits de littérature)^ quoiqu'il renferme les noms et quelquefois la censure de plusieurs contemporains, appartient entièrement à cette haute critique qui n'est que la théorie raiso n- née des bea ux-art s.... Il y a des paradoxes. L'auteur rencontre souvent des idées fausses, parce qu'il cherche trop les idées neuves ; mais il présente beaucoup d'instruction, et ses er- reurs font penser. » « Gomme humaniste, dit M. t. Albert, Mar- montel est bien supérieur à la Harpe ; s'il ne sait pas mieux le grec, alors peu à la mode, la langue latine lui est bien plus familière. » EN FRANGE. 149 Patronné par Voltaire, La Harpe chercha si bien à Timiter qu'il s'attira le titre de « singe de Voltaire. » Il eut d'ailleurs bien des enne- mis, et on a retenu ces vers de Gilbert : C'est ce petit rimeur, de tant de prix enflé, Qui^ sifflé pour ses vers, pour sa prose sifflé, Tout meurtri des faux pas de sa muse tragique. Tomba de chute en chute au trône académique. Le meilleur ouvrage de la Harpe, ou du moins celui qui a le plus longtemps fait vivre son nom, c'est son Lycée ou cours de littéra- ture. Le point de départ surtout en est inté- ressant, car c'est La Harpe qui euH' honneur de fonder en France l'enseignement supérieur libre. Son Lycée n'est que le résumé des le- çons de littérature inaugurées à l'usage des gens du monde, dans un vaste local où il at- tirait un auditoire considérable, au coin de la rue de Valois et de la rue Saint-Honoré. « Ce n'est pas un critique curieux et studieusement investigateur que La Harpe, — dit M. Sainte- Beuve; — c'est un professeur pur, lucide, 150 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE animé Il était excellent pour donner aux esprits une première et générale teinture..... Il est bon en un mot d'avoir passé par La Harpe, môme quand on doit bientôt en sor- Uir. » De La Harpe à M"" de Staël, il y a un pas assez long. Franchissons-le d'un pied gai et alerte. Elle est déjà de notre siècle. On sait comment la fille unique du célèbre ministre des finances de Louis XVI, Necker, fut jpitiée, dès l'enfance, aux plus graves questions litté- raires. Elevée sous la double influence d'une mère protestante» d'un rigorisme excessif, et des écrivains philosophes qui fréquentaient les salons de son père, tels que Thomas, Raynal, Grimm, Marmontel, elle s'éprit d'un culte fa- vori pour Montesquieu, et dès l'âge de quinze ans, elle présentait à son père les réflexions personnelles dont elle avait accompagné cer- tains extraits de V Esprit des Lois. Aussi lors- que M""* de Staël fut présentée à la cour, elle y était précédée par une réputation extraordi- EN FRANCB. 151 naire d'esprit. Ces fleurs tinrent leur promesse et donnèrent des fruits. Eilv. •_ i il après son mariage le centre d'un grand mouvement d'action politique et littéraire. Loin d'abattre son esprit, les vicissitudes de l'exil le relevè- rent et l'aiguisèrent davantage. C'est môme au milieu de cette vie errante et de ces épreu- ves qu'elle produisit ses plus beaux ouvra- ges, accueillis avec admiration et enthou- siasme. Ce fut d'abord son livre : De la littérature^ qui faisait dire à Palissot, non sans vérité: « Il n'est point de livre dont on puisse extraire autant de pensées détachées, dignes d'un sou- venir. » L'une de ces pensées qui souleva peut-être le plus de clameurs, est celle qui pa- raît dominer tout l'ouvrage : la perfectibilité ^ de la^littérature. Violemment attaquée par quelques-uns, M""' de Staël se défendit assez faiblement. La réponse qu'elle fit dans la préface de la deuxième édition est quelque peu dédaigneuse : 152 HISTOIRE DE LÀ CRITIQUE LITTÉRAIRE « Certains littérateurs, dit-elle, veulent nous persuader que le bon goût consiste dans un style exact, mais commun, servant à revêtir des idées plus communes encore. » C'est pré- cisément le contre-pied de ce qu'elle enseigne dans son livre, où elle dit : « Les âmes fortes veulent exister, et pour exister, en lisant, il faut rencontrer dans les écrits des idées nou- velles ou des sentiments passionnés. » Toute- fois tous les adversaires de M"* de Staël n'é- taient pas à mépriser: il suffit de nommer Châteaubriant, qui fit la critique de son livre dans le Mercure, sous forme de Lettre à M. de Font ânes. La personnalité de M'^ de Staël s'affirma avec plus d'autorité encore dans son livre : De r Allemagne. En général, sa critique, inexacte parfois et aventureuse, était avant tout libé- rale, ouverte, hospitalière. Mais elle prend dès lors un caractère de profondeur et de finesse, une élévation de vues et de principes, qui font de ce livre l'un des plus remarquables sortis EN FRANCE. 1S3 de la main d'une femme, et ouvrant à la criti- que les plus larges horizons. « Alors, dit Paulin Limayrac, commença ce mouvement qui aurait pu être si fécond et qui poussa tant de bons et brillants esprits à remonter aux sources véritables de l'antiquité, à étud ier nos propres origines, si longtemps négligées, et les littératures étrangères si long- temps méconnues. Poètes et critiques tra- vaillèrent à l'œuvre d'un commun accord. » C'est vrai, c'était un commencement, mais ce n'était que cela. C'était l'annonce, et comme l'aurore, d'un grand siècle pour la critique, aurore terne et pâle, critique étroite, mesquine, sans originalité, disons le mot, cri- tique ofBcielle. C'était l'heure où Joseph Chénier in spirait à M"' de Staël le portrait qu'elle traçait de lui : « C'était un homme d'esprit et d'imagi- nation « mais tellement dominé par son amour- propre qu'il s'étonnait de lui-même, au lieu de travailler à se perfectionner. » 9* I5i HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE C'était rheure où Leiuercier, qui eut, en- tre autres mérites, celui délaisser son siège à Victor Hugo, à TAcadémie, — bien involon- tairemeut puisqu'il lui refusa constamment sa voix, — pouvait se borner à dire de lui-même dans son épitaphe : Il fut homme de bien et cultiva les lettres. C'était l'heure où Benj amin Cons tant pu- bliciste infatigable, brillait par son talent de conversation. C'était l'heure où l'ab bé de Feletz, d'u ne poli- tesse féline, d'une bienveillance fineet railleuse, entrait au Journal des Débats. Ses articles, signés de la lettre A, tendaient comme ceux de Dussault, d'Hoffmann, de Geoffroy qui at- taquait Voltaire avec acharnement, à défendre les doctrines classiques contre les innovations. C'était l'heure où M. d e Fontanes occupait le Mercure et y défendait la morale. C'était l'heure où mourut Rivarol, qui s'é- tait bien jugé lui-même en définissantlon ta- j EN FRANGE. 155 lent : « unartmèléd'euthousiasme. » Véritable type de Tesprit français, dans ses qualités et ses défauts, doué d'un goût vif et pénétrant, Riva- roi eût été Tun des juges littéraires les plus éminents de la fin du dernier siècle, s'il n'a- vait pas tant manqué de volonté, s'il ne s'était pas gaspillé, dissipé, tout comme un journa- liste de ce temps-ci. C'était l'heure o ù Dussault, l 'un des criti- ques les plus autorisés de l'époque, écrivait, en 1806 .- « Rien n'égale la stérilité de la lit- térature actuelle. A peine çà et là quelques romans ou quelques petits poèmes qui n'ont un moment d'existence que pour être aussitôt replongés dans le néant par le ridicule. » C'est qu^en effet il n'y avait plus rien, absolument rien. Et pourtant, sur le trône, il y avait, si- non un Auguste ou un Louis XIV, du moins un Napoléon 1 Madame de Staël avait eu raison de dire : « Il faut à une société nouvelle une littérature nouvelle. » CHAPITRE V LA CRITIQUE AU XIX SIÈCLE L'empereur professait sur les poètes l'opi- nion de Louis XIV. Il ne les considérait que comme des accessoires de sa gloire, mais ac- cessoires nécessaires pour la célébrer. Il fit donc appeler le grand maître de l'université, M. de Fontanes, dont les mauvais plaisants — il y en eut toujours, — s'amusaient à dé- composer le nom pour le traduire de cette sorte : « faciunt asinos. » Il le chargea de dé- couvrir des Corneille. Mais les Corneille ont besoin, pour naître, vivre et grandir, de l'air, de la liberté, et en fait de Corneille on décou- EN FRANGE. 157 Vrit Luce de Lancival, auteur dH Hector, Mieux eût valu choisir Delille,. qui était un versifica- teur ingénieux, usant et abusant de la descrip- tion et de la périphrase, et pourtant la plus grande gloire littéraire de ce temps. Quelque tristesse que nous coûte cet aveu, il faut bien reconnaître que la France ne pou- vait montrer alors que de pâles décalques des Maîtres ; et, pendant ce temps Gœthe et Schil- ler illuminaient l'Allemagne, Byron révolu- tionnait littéralement l'Angleterre. Puis, voilà que tout à coup, vers la fin de la période impériale, l'activité devient plus fé- conde. En dehors de la Httérature officielle, toujours roide et comme momifiée, un courant ' souterrain se fait jour. B. Constant, par la \ publication de son roman â! Adolphe est l'un de ceux qui prennent la tête de l'école libé- rale. Pendant que madame de Staël apporte son puissant et brillant concours. Château- \> briant lance coup sur coup le Génie du Chris-^/St^ (ianisme^ Atala^ RSm^ le Paradis perdu ^ 158 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE les Martyrs. L'ère de la rénovation est ou- verte. « Bientôt, dit Sainte-Beuve, il se forme dans des boudoirs aristocratiques une sorte de société d'élite, une espèce d'hôtel de Rambouillet, S adorant l'art à huit clos, cherchant dans la poésie un privilège de plus, rêvant une cheva- lerie dorée, un joli moyen-âge de châtelaines, de pages et de marraines ; un christianisme de chapelles et d'ermites. » On reconnaît bien là l'influence de Ghâteaubriant. Ce fut bien autre chose en 1820 et en 1823, quand Lamartine fit paraître ses Méditations. Cette corde intime de la poésie personnelle, qui s'abandonne à ses sentiments, vibrait pour la première fois. On n'en connaissait pas en- core les accents. Aussi, la surprise fut extrême. Vers le même temps, paraissait un autre re- cueil de poésies. C'était un volume d'Odes. L'auteur avait seize ans à peine. Il s'appelait Victor Hugo. Ces œuvres affirmaient victorieusement une EN FRANCE. 159 autre esthétique, une nouvelle forme poétique. G^était une révolution ! Elle eût pu s'acconiplir pacifiquement. Les représentants des procédés classiques et de la traditon du xvn* et du xvm* siècle se soulevè- rent avec indignation. S' abritant derrière les grands noms de Racine et de Boileau, ils en- tamèrent résolument la lutte. Comme toujours, il y eut des excès, des violences extrêmes. De part et d'autre, on se laissa entraîner beau- coup plus loin qu'on n'aurait voulu. Nous avons vu comment, pour les classi- ques, d'après la philosophie cartésienne, le beau idéal est immuable, comme la vérité dont il est l'expression. Pour eux la perfection est absolue et n'a point d'âge, de sorte que si cent personnes avaient à exprimer la même idée, ces cent personnes, pour l'exprimer parfaite- ment^ l'exprimeraient dans les mêmes ter- mes. Le romantisme, au contraire, réclamait pour l'inspiration toute liberté, proclamant que la 160 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE poésie est perfectible et change avec les temps et les pays. Au fond, les romantiques disaient : « Les classiques du xyii* siècle ont eu leur heure suprême et légitime de gloire, mais ils ont fait leur temps. Ceux du xviif ont voulu suivre les traces de leurs devanciers et ont fait moins bien qu'eux. Si nous sommes condam- nés à suivre la même voie, nous ferons moins bien encore. Sortons-en ! » Et ils en sont sor- tis, et au lieu de s'inspirer de l'idéalisme car- tésien, ils se sont lancés à la suite du réalisme philosophique, ils se sont attachés à Tétude et à l'expression de la nature dont les classiques ne s'occupaient guère, et en fouillant dans le passé, ils se sont épris d'enthousiasme pour le moyen-âge, dont Boileau semble à peine avoir soupçonné l'existence. Sans doute les romantiques n'ont point for- mulé si nettement leur doctrine, mais ils sen- taient cela d'instinct, et c'est ce qui souleva contre eux tant de clameurs. Lemercier ne songeait à rien moins qu'à EN FRANCE. 161 appeler sur eux les sévérités du parquet. Il s'écriait: Avec impunité les Hugo font des versl On alla jusqu'à chercher de tous côtés un Molière pour les livrer à la risée publique. Le Constitutionnel Ouvrit ses colonnes à ces ré- clamations. A quoi M. DuvergierdeHauranne, le futur collègue de V. Hugo à l'Académie et qui eut la sincérité de lui refuser constamment savoix, répondit: « Le romantisme n'est pas un ridicule, c'est une maladie, comme le som- nambulisme ou l'épilepsie. Un romantique est un homme dont l'esprit commence à s'aliéner. Il faut le plaindre, lui parler raison, le rame- ner peu à peu. Mais on ne peut en faire le su- jet d'une comédie ; c'est tout au plus celui d'une thèse de médecine. » Victor Hugo ne s'effraya point et attaqua l'ennemi de front. Joignant l'habileté au ta- lent, il se garda bien de nier les mérites des maîtres passés, Corneille, Racine, Molière, qu'on lui opposjait sans cesse, — il les esti- 162 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE mait trop pour cela, — il les proclama au contraire, plus hautement que ses adversaires. Mais, avec une concentration merveilleuse, • résumant l'histoire de la poésie, il écrivit, dans sa préface de Gromwell : « La poésie a trois âges, dont chacun cor- respond à une époque de la société ; Tode, l'é- popée, le drame. Les temps primitifs sont ly- riques, les temps antiques sont épiques^ les temps modernes sont dramatiques. L'ode chante l'éternité, l'épopée solennisé l'his- toire, le drame peint la vie. Le carac- tère de la première poésie est la naïveté, le caractère de la seconde est la simplicité, le caractère delà troisième, la vérité.... La poé- sie de notre temps est donc le drame.... Tout ce qui est dans la nature est dans l'art. » Ce manifeste était précis. Il ouvrit la voie et commença même à la déblayer. A côté de Victor Hugo, de Lamartine, d'Alfred de Vi- gny, toute une pléiade ardente et jeune se ruait à la bataille de l'indépendance de l'art . EN FRANCE. l63 Ces grandes luttes des classiques et des ro- mantiques soulevèrent et armèrent des légions. Sainte-Beuve, Théophile Gauthier, Dumas, Mérimée, Alfred de Musset, Jules Janin, Charles Nodier, Emile et Antony Deschamps, et bien d'autres parmi lesquels nous n'osons pas choisir dans la crainte de trop exclure, tra- vaillèrent avec succès à la rénovation des let- tres dans tous les genres: poésie lyrique, drame, roman, histoire même. C'étaient des révolutionnaires et ils étaient jeunes. La, Muse française enregistrait leurs manifestes, et ils allaient intrépidement de l'avant, poussant même leurs chefs au com- bat, et au besoin les dépassant par l'exagéra- tion de la théorie et des œuvres. On eût dit qu'ils avaient pris pour devise ce mot de Vol- taire : « L'extravagant vaut mieux que le plat. » Ce n'est pas sans raison que dans le cours de cet ouvrage nous avons multiplié les cita- tions des auteurs contemporains. Ayant à les 164 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE apprécier comme critiques, nous n'avons pas cru pouvoir mieux faire que de donner, àToc- càsion, des extraits de leurs œuvres: C'est abré- ger d'autant Tétude que nous allons leur con- sacrer. Du reste, pour se mettre au pas avec la pro- duction et aller aussi vite, la critique a été obligée de chercher une méthode expéditive. * C'est surtout dans les revues et journaux qu'elle porte des arrêts à jour fixe, s'occupant prin- cipalement de l'actualité, qui ne laisse guère de loisir aux retours en arriére. On conçoit d'ailleurs que nous ne pouvons passer en revue tous les critiques dont la litté- rature relève aujourd'hui. Le nombre en est tel que le vertige vous prend, rien qu'à se rap- peler, de loin ou de près, leurs noms et leurs titres. Jamais sans doute on n'a formulé tant d'arrêts que parce temps de journalisme triom- phant. À une heure donnée, tout ce qui tient une plume se transforme en juge du Par- nasse. EN FRANCE. 165 Il est une autre difficulté, bien plus grande encore. Pour un grand nombre d'écrivains du XIX* siècle, Theure du jugement dernier, qui est aussi, dit-on, le jugement général, n'est pas venue. Nous ne sommes, nous, historiens d'aujourd'hui, que l'avant-garde de la posté- rité. A cette époque, la Sorbonne brille d'un éclat qu'elle ne connaissait pas encore. La critique se ranime et s'élargit. Elle devient une partie de l'histoire générale dans les élo- quentes leçons de M. Villemain. « M. Ville- main, — dit Gustave Planche, — a labouré dans tous les sens le terrain de l'érudition. Doué d'une mémoire prodigieuse, habile à saisir des rapports inattendus, il étonne le lec- teur par la multiplicité des rapprochements en môme temps qu'il le charme par la grâce du langage, par le choix des images, par l'élé- vation constante de la pensée. Si parfois il se laisse aller à la mahce de son esprit, il n'en abuse jamais et sait toujours s'arrêter à temps. 466 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE preuve inestimable d'une modération qu'on ne peut trop louer. Il ne veut pas amuser, il veut instruire. Il ne se contente pas de nous révéler sa pensée, de nous la présenter sous une forme claire et précise, il ne s'attache pas avec moins de soin, avec moins de constance, à déposer dans l'âme du lecteur le germe des idées qu'il s'abstient d'exprimer. Il se plaît à exciter l'intelligence, à lui désigner des voies nouvelles... La place réservée à M. Villemain dans l'histoire de notre littérature n'est pas dif- ficile à marquer ; il occupe aujourd'hui, et gardera sans doute longtemps encore, le pre- mier rang dans la critique. Personne mieux que lui ne sait animer l'analyse. Si quelquefois on a pu sans injustice lui reprocher un peu de timidité dans l'exposition de ses doctrines, il a racheté cette faute par les services immen- ses qu'il a rendus à la cause du bon goût et du bon sens. Nourri des lettres antiques, il a compris la nécessité d'élargir l'horizon de sa pensée par l'étude assidue des littératures mo- EN FRANCE. 167 dernes ; il a multiplié les points de comparai- son et s'est fait, avec un art merveilleux, un goût cosmopolite. Il n'y a pas une nation de l'Europe dont il ne comprenne le génie. » Dans la Revue politique et littéraire du 3 juin 1876, M. Eug. Despois consacre à M. Villemain un article remarquable. Il rap- pelle comment, de l'aveu de tous les contem- porains, le don de parler avec une verve en- traînante, avec une vivacité pleine de grâce et d'imprévu, était chez M. Yillemain quelque chose de surprenant. A vrait dire, l'intérêt qu'excitaient les leçons de M. Villemain et l'affluence qu'elles atti- raient, étaient autant de griefs contre lui. On lui reprochait d'introduire dans l'enseigne- ment un genre, non-seulement instructif, mais attrayant. Nous ne voyons pas en quoi il fut coupable pour cela, mais c'était sans doute une offense personnelle que ne pouvaient par- donner facilement les partisans intéressés du genre ennuyeux. 168 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE En même temps que M. Villemain, M. Gui- zot, dans ses leçons sur ï Histoire de la civilisa- tion en Europe^ faisait admirer, à côté d'une science étendue et solide, une rare sûreté de déduction philosophique, et M. Cousin inau- gurait également, en 1827, ces trois années d'éloquence où la Sorbonne fut une arène ouverte a toutes les idées. Pendant ces trois ans, M. Cousin retint sous la fascination de son génie l'élite de la jeunesse française. Dès lors, et après sa retraite, il s'occupa active ment des questions de critique littéraire. Lais- sons parler M. Sainte-Beuve. « La rénovation introduite par M. Cousin dans la critique littéraire, dit-il, consiste pré- cisément à traiter la période du xvii* siècle comme si elle était déjà une antiquité, à en étudier et au besoin à en restaurer les monu- ments comme on ferait en matière d'archéolo- gie... Nul mieux que lui n'avait mission pour s'éprendre de la langue du grand siècle et pour la revendiquer comme sienne. Il est cer- EN FRANGE. 169 tainement de tous les écrivains de nos jours celui qui en rjenouvelie le mieux les formes et qui semble, sous sa plume, en ressusci- ter le plus naturellement la grandeur. M. Cou- sin eut de bonne heure un double instinct, une double passion presque contradictoire. Il est homme à s'occuper des textes, à recher- cher des manuscrits, à s'intéresser à des sco- lies et à des commentaires, a les transcrire jusqu'au dernier mot, à ne faire grâce, ni à lui, ni auxautres, d'aucune variante ni d'au- cune leçon ; et tout à travers cela, il is'élève, il embrasse, il généralise, il a des conceptions d'artiste et des verves d'orateur. Nous avions affaire à un texte poudreux et subtil, à quel- que obscur parchemin qu'il fallait déchiffrer, et tout à coup, nous voyons se dresser une statue. » Tel est, en effet, le charme surprenant qu'offrent à la critique les œuvres littéraires de V. Cousin, telles que La Jeunesse de M"^^ de Longueville^ — Jacqueline Pascal^ — et toute la suite de ses Etudes sur les femmes 10 170 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE et la société du xvii* siècle^ auxquels il a con- sacré les dernières années de sa laborieuse existence. Nous voudrions pouvoir consacrer la même étude à Saint-René Taillandier, qui était non seulement un écrivain distingué, mais encore un observateur impartial et généralement bien- veillant. Il fut l'un des plus actifs collabora- teurs de la Revue des deux Mondes^ et nous lui devons de remarquables études sur la lit- térature étrangère, particulièrement sur celle de rAllemagfue et de la Russie. M. Cuvillier-Fleury se faisait également re- marquer par la pureté, l'élégance, Tampleur de son style dans ses articles au Journal des Débats. Ces articles réunis forment plusieurs volumes, parmi lesquels il faut remarquer ses Etudes historiques et littéraires. Doué d'un jugement plein de droiture, M. Cuvillier-Fleury n'a jamais consulté que la vérité et sa conscience, et peut se flatter de n'en avoir reçu que de bons conseils. EN FRANCE. ili Dans son Cours de littérature dramatique^ M. Saint-Marc Girardin ramène ingénieuse- ment l'étude du drame aux passions qui en sont l'âme. C'est son grand secret qui vient accroître les autres titres littéraires qu'il s'est acquis dans le journalisme. * A côté ou au-dessus des tableaux de ces maîtres de la critique, on aime à voir les por- traits de Sainte-Beuve. Qui croirait aujour- d'hui qu'après avoir été brillant élève au col- lège Charlemagne, puis au collège Bourbon, Sainte-Beuve fut étudiant — moins brillant peut-être — en médecine. Il en a pourtant gardé quelque chose, car la délicatesse, la sûreté d'analyse qu'il apporte dans la critique des œuvres littéraires semblent tenir des pro- cédés de l'anatomie. Quoi qu'il en soit, les étu- des médicales ne satisfaisaient point pleine- ment à ses goûts, puisque, dans le cours même de ces études, il commença à écrire des articles d'histoire, de philosophie et de criti- que, pour le Globe. Cette feuille avait alors 172 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE pour directeur M. Dubois, son ancien pro- fesseur de rhétorique. Quelques comptes-rendus sur les produc- tions de Técole romanque, les Odes et ballades de Victor Hugo, le Cinq-Mars d'Alfred de Vi- gny, décidèrent de sa vocation. Soit calcul, soit plutôt hasard, il arriva que Sainte-Beuve habita près de Victor Hugo dans la rue de Vau- girard, puis dans la rue de Notre-Dame-des- Champs. Ce voisinage, et plus encore la com- munauté de goûts littéraires fortifièrent leurs amicales relations. Sainte-Beuve se lança, plus hardiment que jamais, dans le mouvement dont V. Hugo était le chef. Or, en 1827, l'Académie proposa, pour su- jet du prix d'éloquence, le « tableau de la poé- sie française au xvi' siècle. » Nous savons déjà que les tendances du romantisme étaient toutes en faveur du moyen-âge. Ce sujet convenait donc particulièrement à Sainte-Beuve et de- vait tenter son ambition. Il n'hésita pas à con- courir. S'il n'obtint pas le prix, qui fut par- EN FRANGE. 173 tagé entre Philarète Ghasles et Saint-Marc Girardin, son travail, entièrement remanié depuis et enrichi, n'en est pas moins Tun des meilleurs ouvrages que Ton possède sur cette partie de notre histoire littéraire. Un peu plus tard, Sainte-Beuve, qui cher- chait toujours « quelque grande âme à épou- ser », subit profondément Tinfluence de La- mennais. Ses vues ne s'en trouvèrent que plus élargies. Sa réputation grandissait, et quand il en- tra, vers 1834, à la Revue des deux Mondes^ il pouvait compter sur Taccueil que le public ferait à ses portraits, dont il avait inauguré la série, dès 1829, dans la Revue de Paris. Il avait trouvé sa véritable voie, il ne fit que s'af- fermir dans cette manière supérieure de pein- dre, à propos des œuvres, les hommes, leur vie et leur temps. Poète avant d'être critique, il se plut à faire revivre, par mille aperçus fins, ingénieux, nouveaux, dans sa physiono- mie et dans ses traits, dans son caractère et 10* 174^ HISTOIRE DE LA CRITKJUE LITTÉRAÎRE son talent, Toriginal dont il s'empare et avec lequel il converse avant de le suspendre dans sa galerie. Nous n'avons pas à suivre Sainte-Beuve dans les cours qu'il alla faire à Lausanne, puis à Liège, pas plus que dans son cours de poésie latine au Collège de France, ni même dans les conférences ^qu'il donna à l'École Normale entre 1857 et 1861. C'est surtout par ses brillantes Causeries du lundis inaugurées dès 1850 dans le Cons- titutionnel^ et continuées plus tard dans le Moniteur officiel et dans le Temps ^ que Sainte-Beuve s'est fait une place à part dans la critique. C'est là qu'il surprit ses lec- teurs, en les charmant, par l'imprévu de son style parfois bizarre et tourmenté, mais tou- jours ingénieux et piquant, non moins que par la souplesse et la pénétration de son es- prit et par sa manière habile de mêler à la critique la biographie anecdotique. Parmi les nombreux jugements portés sur EN FRANGE. 17S Sainte-Beuve, celui de M. Philarète Chasles nous paraît offrir la plus juste appréciation de ce brillant esprit : « Il effleure tout, illu- mine tout, ne se contredit jamais, se modifie sans cesse, fait étinceler les points saillants, arrive aux profondeurs, ne s'y attarde pas et ne s'arrête que si un scrupule de millésime ou une erreur de nom propre le met en dé- sarroi. Oh! alors, c'est une désolation!... mais il se rassérène, il repart, il est parti!... Il entre dans toutes les petites chapelles, dé- range tous les sacristains, furette dans tous les coins, met à sac les petits temples, trouve des documents, sème des anecdotes, c'est un miracle!... Le grand Goethe lisant les pre- miers essais de Sainte-Beuve, imprimés dans le Globe de M. Dubois, avait bien vu cette maîtresse passion d'infatigable enquête. » Parmi les gloires de Sainte-Beuve, l'une des plus afipréciables pour lui fut sans doute de compter M. Benan entre ses amis. Artiste avant tout, M. Benan traite magis- 176 HISTOIRE D£ LÀ CRITIQUE LITTÉRAIRE tralement toutes les questions philologiques, philosophiques et critiques, et il relève encore la vigueur de ses jugements par le charme et l'imposante beauté d'un style incomparable. Eu 1850, l'Académie ouvrait ses rangs à un illustre critique, qui l'emportait d'un grand nombre de voix sur Alfred de Musset. C'était M. Nisard, le prochain successeur de M. Ville- main dans la chaire d'éloquence française de la Faculté des lettres. Nous avons cité souvent les jugements de M. Nisard ; ils ont une valeur qui les met au- dessus de la plupart des attaques qu'ils soule- vèrent. Il avait à peine achevé ses études à Sainte- Barbe, qu'il entra dans le journalisme. Ses premiers essais révélèrent toutes les qualités d'un excellent prosateur nourri des modèles, et sa plume alerte fit pressentir son brillant talent de polémiste. Essentiellement classique, par instinct ou par réflexion, il s'inscrivit de suite comme EN FRANCE. 177 champion du passé. Dans le feuilleton litté- raire du National, il déclara la guerre au ro- mantisuie. Il lança Tanathème sur les drames de Victor Hugo et d'Alexandre Dumas ; il les traita comme des débauches d'imaginations en délire, indignes par conséquent d'occuper les esprits sérieux. Dans un manifeste dont le souvenir n'est pas perdu, il divisa la littérature en deux camps : la littérature facile, qui peut produire Henri HI, Antony, Marion Delorme, etc., et la littérature difficile qui ne peut aspi- * rer à d'autre perfection qu'à l'imitation des épitres de Boileau. En dehors du siècle de Louis XIV, en deçà de Malherbe et au-delà de Massillon, il n'y a presque plus rien qui mérite de fixer l'attention. Il affirme sincère- ment que la France, qui se reconnaît si bien dans Racine, commence à ne plus se recon- naître dans J .-J. Rousseau. Cette tendance in- diquait une réaction ; réaction provoquée sans doute par les excès même du romantisme, et qui ne doit pas nous empêcher d'admirer, <-- !78 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE parmi les meilleures œuvres de M. Nisard, son Histoire de la littérature française. On a dit de cet ouvrage, aujourd'hui encore con- sulté avec profit, qu'il rappelait trop le fonc- tionnaire comblé d'honneurs. Nous aimons mieux nous associer au jugement qu'en porte Sainte-Beuve : « M. Nisard, dit-il, parle au nom du sens el du goût, avec instruction, es- prit et talent. Son Histoire de la Littérature^ et ses Poètes latins de la décadence^ malgré le parti pris qui en amoindrit la valeur, sont de véritables œuvres littéraires. » N'oublions pas que c'est un romantique qui parle ! M. Nisard, d'ailleurs, n'entrait point seul dans l'arène. Sous un autre drapeau politique, nous rencontrons M. Prévost-Paradol, qui à l'âge de vingt-six ans était professeur de litté- rature à la Faculté d'Aix, après avoir été brillant élève de l'École Normale et lauréat du concours général. L'un des principaux ré- dacteurs aux Débats^ puis à la Presse^ il écri- EN FRANCE. 179 vait en même temps au Courrier du Diman- che, que sa collaboration fit supprimer par le régime impérial. Nous rencontrons également M. de Pont- martin, fécond et agréable peintre de gejpre, qui de bonne heure consacra son talent à la critique et à Texamen de toutes les questions littéraires que l'actualité soulève au jour le jour. Entré à la Bévue des deux Mondes, il y ap- porta, dit Sainte-Beuve, sa plume facile, dis- tinguée, élégante, de cette élégance courante qui ne se donne pas le temps d'approfondir, mais qui sied et suffit à un compte-rendu. Il ne tarda pas à se distinguer plus brillam- ment par ses Causeries du samedi, pu- bliées dans les divers recueils ou journaux auxquels il a collaboré, tels que ^f/î^^^o^^, la Revue contemporaine^ le Correspondant et la Gazette de France^ dont ces articles, en dehors de toute question politique, continuent à for- mer Tun des principaux attraits. u 180 HISTOIRE DE LÀ CRITIQUE LITTÉRAIRE Le nom de M. Schérer peut être aussi ré- clamé par la politique. Il n'est pourtant per- sonne qui puisse lui contester le rangéminent qu'il a conquis parmi les critiques philosophi- ques et littéraires. Nous ne pouvons que nom- mer en passant ses remarquables Etudes criti- ques sur la littérature contemporaine^ recueil des nombreux articles qu'il a pubUées dans le Temps. Entre toutes les réputations qui sont nées et ont grandi au rez-de-chaussée des jour- naux, il n'est point permis d'oubher celle de M. Jules Janin. Longtemps il a surpassé toutes les autres en popularité. Il crut pouvoir s'ap- peler lui-môme \^ prince des critiques. Ce titre qu'il se donnait généreusement n'était peut- être pas tout à fait conforme aux principes de la modestie, mais il n'était guère contre- dit par la vérité. Aussi se plaisait-il, suivant la pensée d'un publiciste, à cabrioler à travers drames et vaudevilles comme une chèvre en liberté. Son EN FRANCE. 181 style carillonnait sur toutes choses un peu, excepté souvent sur Tœuvre dont il s'agissait de parler. Avec cela, beaucoup de verve, de brillant, d'humour. « M. Janin, écrivait Sainte-Beuve dans un de ses premiers lundis s'amuse évidem- ment de ce qu'il écrit... Il a beaucoup de- mandé à la fantaisie, au hasard de la rencon- tre, à tous les buissons du chemin : les buis- sons aussi lui ont beaucoup rendu. C'est un descriptif que M. Janin, qui vaut surtout par le bonheur et les surprises du détail. Il s'est fait un style qui, dans les bons jours et quand le soleil rit, est vif, gracieux, enlevé, fait de rien, comme les étoffes de gaze, transparentes et légères, que les anciens appelaient de l'air tissé ; ou encore, ce style prompt, piquant, pétillant, servi à la minute, fait l'effet d'un sorbet qu'on prendrait en été sous la treille. » Plus encore que Jules Janin, mais aussi avec plus d'envergure, M. Arsène Houssaye atteint les sommets de la fantaisie spirituelle. 41 182 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE Sa célébrité date de longtemps déjà. Elle était commencée et assurée lorsque, en 1843, il acheta le journal, V Art iste^k Achille Ricourt, son fondateur. Il eut Theureuse inspiration de lancer ce journal dans une voie nouvelle et de grouper autour de lui ces écrivains intelligents qui s*appelaient Gérard de Nerval, Gautier, Murger, Champfleury, Monselet, etc. Nommer Théophile Gautier, c'est faire son- ger à tout ce qu'il a dépensé par jour d'esprit, de verve, et aussi de science de la langue. Qu'on lise les cinq volumes de Y Art théâtral en France ! où il a réuni ses meilleurs feuille- tons. C'est surtout, en effet, comme critique dramatique que l'œuvre de Gautier est consi- dérable. On a dit de lui que c'était un critique peu sévère, promenant, avec une complai- sance orientale, sa plume chatoyante de la salle de spectacle au salon de peinture. Rien n'est plus vrai. Sa critique se distingue tou- jours par un grand fonds de bienveillance ; EN FRANCE. 183 elle est plus descriptive qu'esthétique, elle ra- conte plus qu'elle ne juge, mais toujours avec un charme de style, une richesse d'expression que peu ont égalés, que personne peut-être n'a dépassés. Pour s'en convaincre il suffît de lire ses deux notices, qui sont deux chefs- d'œuvre, la première sur Lamartine, écrite au lendemain de la mort du poète, et la se- conde qui sert de préface à l'édition des œu- vres de Beaudelaire. C'est encore dans le même ordre d'idées que nous saluons M. Paul de Saint- Victor, quoique ici le critique d'art soit peut-être supérieur au critique dramatique. Mais « nul n'a un voca- bulaire plus riche, dit M. Schérer, une plume qui ressemble mieux à un pinceau, un don plus enviable de tout voir dans la lumière et la couleur, et de tout rendre comme il le voit. » Ces brillantes qualités, M. P. de Saint- Vic- tor les mit au service du Correspondant^ de la Semaine, du Pays^ de la Presse^du Moniteur I 184 HISTOIRE DE LA CRITÏOUE LITTÉRAIRE universel. Il collabora aussi à Y Artiste et à la Liberté. Lamartime, qui avait eu d'abord P. de Saint-Victor comme secrétaire, disait un jour de lui en faisant allusion au surprenant éclat de son style : « Chaque fois que je lis de Saint- Victor, je me trouve éteint. » Paul de Saint- Victor, comme A. Houssaye et Théophile Gautier, est le représentant d'une critique plutôt étincelante que sévère. Il n'en est pas de même de Gustave Planche, de re- doutable mémoire, qu'Alphonse Karr avait surnommé plaisamment le Grand Gustave. Ce fut pourtant l'un des critiques les plus auto- risés de la Presse périodique. Il se fit d'abord remarquer par ses comptes-rendus de livres ou d'œuvres d'art dans Y Artiste et \di Chro- nique^ mais surtout au Journal des Débats et à la Bévue des deux Mondes. Personne plus que lui ne contribua au succès de ce recueil. C'est là que, pendant plus de vingt-cinq ans, il prononça ces arrêts profonds et sûrs qui, EN FRANCE. 185 dans un temps de confusion littéraire, ont con- tribué à éclairer le goût du public. G. Planche réunissait merveilleusement les principales qualités du critique. 11 devait à ses lectures une érudition très variée ; son style était net et précis ; son indépendance et sa loyauté pouvaient passer comme proverbiales. C'est ce qui faisait de lui un adversaire redoutable et à ménager. Ses exécutions impitoyables lui suscitaient bien des ennemis, et on lui reprochait parfois, non sans raison, une sévérité outrée. On sait Tétroite amitié qui Tunit à George- Sand. Balzac, que Gustave Planche n'avait pas toujours épargné, profita de cette intimité re- connue pour mettre en scène, dans son roman de Béatrix, Planche etM""* Sand sous les noms de Claude Vignon et M"* des Touches. Mais le même Balzac, quand il acheta la Chropique de Paris^ s'empressa de s'attacher Planche comme collaborateur, moins sans doute par admiration pour son talent que par crainte de ses attaques. i86 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE La critique vit alors se fonder une nouvelle école qui eut pour chef M. Taine. Son nom, avec ceux de MM. Renan et Littré, fit beau- coup de bruit dans ses derniers temps. M. Taine, après de très-brillantes études, avait occupé en province plusieurs chaires de professeurs ; mais bientôt fatigué des tracas- series qui lui furent faites, (on voulut Tenvoyer à Besançon comme suppléant de sixième,) il quitta l'Université et partit pour Paris. Ses débuts dans la Revue de rhistruciion publique attirèrent de suite Tattention sur M. Taine. Il ne s'attarda point dans cette revue, et passa bientôt après au Journal des Débats et à la Revue des deux Mondes. Ses articles de critique et ses études littéraires pro- duisirent une grande sensation, et reposaient sur des théories entièrement neuves. C'était une sorte de philosophie de la littérature qui prit le nom de critique naturelle et physiolo- gique. C'est dans cet esprit que M. Taine publia. EN FRANCE. 187 pour ne citer que les plus importantes de ses œuvres : son Essai sur les Fables de La Fon- taine ; son Essai sur Tite-Live^ ouvrage cou- ronné par TAcadémie malgré la hardiesse de ses vues et de ses doctrines spinozistes ; ses Essais de critique et d^ histoire ; ses études sur Racine, Balzac, Jean Reynaud, Addison, Pope, Dryden ; et son Histoire de la littérature an- glaise^ vaste trésor de connaissances solides et de jugements remarquables par leur jus- tesse. Les théories de M. Taine furent loin d'être acceptées sans contestation. Elles furent at- taquées avec acharnement, et leur auteur lui- même fut souvent jugé avec passion. M. Vapereau, dans V Année littéraire^ nous • fournit sur M. Taine une appréciation plus modérée et plus saine : « Condamné par sa doctrine, dit-il, à tracer dés figures géomé- triques au lieu de dessiner des figures vivantes, M. Taine, dont le talent vaut mieux que le système, laisse le sujet de ses analyses s'ani- 11* 188 UIÂTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE mer sous ses mains. Il veut donner de pures formules de cerkfts, d'ellipses, de paraboles, et de toutes sortes de courbes, et il s'échappe sans cesse de sa propre courbe, selon la tan- gente, pour se promener dans les libres espaces de la fantaisie et de Fart. Son style est orné, vif, coloré, animé; sa pensée a des échappées politiques. Il atout l'éclat et tout l'élan de l'imagination, dans un système qui supprime l'imagination. » Cette sorte de critique, inaugurée par M. Taine, n'a pas tardé à trouver un nouveau théoricien dans M. Ueschanel, qui prétend l'élever à la dignité de science danssaP%Wo- logie des écrivains et des artistes ou Essai de Critique naturelle. Nous avons vu combien souvent la soumis- sion exigée des universitaires a enrichi le jour- nalisme au dépens de l'enseignement. Ce fut aussi le cas de M. Francisque Sarcey. La cri- tique dramatique y gagna un excellent juge de plus. A un jugement très-sain et à un grand EN FRANCE. 189 fonds d'études classiques, M. Sarcey joint une étonnante connaissance des choses du théâtre. C'est ce qui donne à ses articles travaillés avec conscience, malgré leur pétulance, leur ardeur primesautière, une autorité considérable, et c'est à juste titre qu'on regarde M. Sarcey comme l'un des critiques dont les apprécia- tions ont le plus de valeur. Il est à regretter qu'il n'ait point publié plus d'ouvrages en dehors de ses feuilletons et articles de jour- naux et revues. Son œuvre est cependant im- portante. On sait que c'est à M. Ed. About avec qui il avait partagé les couronnes du lycée Ghar- lemagne qu'il doit son introduction dans le journalisme. Les deux rivaux et amis y mar- chèrent presque toujours en se donnant la main. On vit successivement M. Sarcey au Figaro^ où il signa S. de Suttières, (du nom de son pays natal,) à la Revue Européenne^ au Nam jaune^ à Y Illustra tio7t^ à Y Opinion Natio7iale dont il rédigea le feuilleton théâtral 190 HISTOIRE DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE depuis 1860, date de sa fondation, jusqu'en 1867. Puis après avoir collaboré au journal le Temps^ il fut lun des principaux auxiliaires de M. About pour fonder le Gaulois^ qnidut à M. Sarcey de nombreux et excellents articles d'actualité et de critique. L'esprit politique de cette feuille venant à subir un premier chan- gement, M. Sarcey s'en retira avec M. About; il l'aida à fonder le Z/Z* Siècle où ses spiri- tuelles causeries obtinrent de suite un grand et légitime succès. Il convient de payer un juste tribut d'hom- mage et d'admiration à l'un des plus savants et des plus sincères critiques littéraires de notre temps, M. Brunetière. C'est formuler d'avance lo jugement de la postérité, mais c'est aussi lui donner la place à laquelle il a déjà droit. Nous ne pouvons résister au désir de nom- mer en6n deux jeunes écrivains, M. Gustave Larroumet qui donne un si grand attrait à ses cours de la Sorbonne et M. Jules Lemaître, EN FRANCE. 191 appelé depuis peu à succéder, comme criti- que dramatique du Journal des Débats à M. J.-J. Weiss, et déjà célèbre par ses essais littéraires où il y a, disait-on récemment « tant d'éclat, tant de verve légère, tant d'idées neuves ou piquantes, de pensées ex- quises, de passages vraiment charmants ! » Tout marche, tout avance dans le monde. La critique, au xix* siècle, comme dans les siècles précédents, a suivi toutes les évolutions de la philosophie dont elle s'inspire. Toutes deux ont également besoin de la liberté pour prendre leur essor. Mais en devenant savante et précise, la critique aussi doit se montrer de plus en plus large et libérale, son rôle n'est pas seulement de diriger l'esprit, rnais aussi de l'exciter dans son audace. Qu'elle s'arme plutôt de l'aiguillon que du frein, et que loin d'humilier les auteurs, elle devienne au con- traire pour eux un encouragement et une ré- compense. FIN TABLE DES MATIÈRES Chapitre Premier. — Aperçu général I § I«'. — Origine de la critique en France. — Sa nature. — Intérêt qu'elle présente à Tétude. . 1 § II. — Définition et rôle de la critique. — Ses espèces. — Zoïle et Aristarque. — Avantages et difficultés de la critique. — Qualités du critique et besoin pour lui de la liberté. — Le meilleur critique 5 § III. — Double raison d'origine et d*analogie d'étudier l'histoire de la critique dans l'antiquité. — La philosophie, source originelle de la criti- que. — Rapports de la philosophie et de la cri- tique à Athènes et à Rome 15 194 TAHLE DES MATIÈRES Chapitre IL — La critique en France avant le xvii« siècle, — Période de formation stérile pour la critique. — Grammaire et philologie. — Jugement sur la Renaissance. — Marguerite de Navarre ; — Rabelais; — Montaigne; plus encyclopédistes que critiques. — Ce qu'est le xvi« siècle au point de vue littéraire • 21 Chapitre IIL — La critique au xvii« siècle. — Dé- pouillement que le xvii* siècle avait à faire parmi les richesses de l'âge précédent. — Les grands poètes critiques de leurs œuvres. • • • 29 § I«'. — Corneille. — Le mécontentement de Richelieu et Tindépendance de Corneille. — Apparition du Cid. — Son succès. — Les Obser- vations sur le Cid, — Réponse de Corneille. — Défense du Cid et Lettre apologétique, — Balzac. — L'Académie. — Chapelain. — Extraits du Ju- gement de l'Académie. — Echantillon de la criti- que de d'Aubignac. — Résumé des débats par P. Albert. — Critiques sur les tragédies d'Horace, de Cinna, de Polyeucte. — Quinault. — La ten- dance générale des esprits au xvii* siècle. — L'Hôtel de Rambouillet. — La marquise de Ram- bouillet, son rôle. — Les habitués du salon. — Influence sur les Lettres. — Les précieuses. '— TABLE DES MATIÈRES 195 MW« de Sc'jdéry. — Les autres salons littéraires. — M""« de Longueville. — M"* de Nemours. — La duchesse do Bouillon. — M™« Deshoulières et Pradon 31 § II. — Racine. — Ses relations avec Boileau, La Fontaine et Molière. — Les ennemis de Ra- cine. — Ses hostilités avec Corneille. — Le Mer- cure Galant. — Visé. — Robinet. — Fontcnelle. — Subligny. — S»-Evremond • • 58 § III. — Molière. — Le duc de Montausier. — Ménage et Gotin. — Boileau. — Sa mansuétude envers Racine. — Ses ennemis. — Le salon de M"»« de Pélissari. — Son entrée à l'Académie. — La querelle des anciens et des modernes. — Ch. Perrault. — Sa théorie. — Sa réconciliation avec Boileau. — Analogie de l'esthétique de Boileau avec la philosophie de Descartes. — - Influence générale de la philosophie cartésienne sur la littérature. — Bayle. — Fénelon. — Le ménage Dacier. — La Motte. — Rolin 78 Chapitre IV. — La critique au xviii® siècle. — Equi- libre qui s'établit entre la production et la criti- que. — Analogie de la littérature avec les idées philosophiques. — Le drame et Diderot. — La littérature déjà romantique de Diderot comparée i96 TABLE DES MATIÈRES à la littéralupe classique de Racine. — Regard rétrospectif sur Corneille. — Voltaire. — Son universalité. — Sa vie en quelques lignes par Arsène Houssaye. — Influence du milieu où il vécut sur ses dispositions de critique. — Ses premières compositions. — Le Temple du Goût. — Madame du Châtelet. — Lettres philosophi- ques. — Epître à Uranie. — Les armes que Vol- taire préfère contre ses adversaires. — Juge- ments de MM. Brunetière et P. Albert. — Des- fontaines. — Crébillon. — Fréron. — Le siècle de Louis XIV. — Voltaire et Frédéric. — La Beaumelle. — Influence nélaste de Frédéric II. — Ferney. — Voltaire et Rousseau. — Corres- pondance de Voltaire. — L'action de Voltaire sur son siècle. — ■ Diderot et d*AIembert. — L'Encyclopédie. — Palissot. — Morellet. — Buffon. — Marmontel. — La Harpe. — Ma- dame de Staël. — Chàteaubriant, Chénier, Le- mercier, B. Constant, Feletz, de Fontanes, Ri- varol, Geoffroy, Dussault. . . • • • ^ . • . • 100 Chapitre V. — La critique au xix® siècle» — Période impériale. — Lutte des classiques et des roman- tiques. — Lamartine et Victor Hugo. — Les chefs du romantisme. — Villemain. — Guizot. — V. Cgusin. — Saint-René Taillandier. — - Cu- villier-Fleury. — - Saint-Marc Girardin. — TABLE DKS MATIÈRES 197 Sainte-Beuve. •— Renan. — D. Nisard. — Prévost- Paradol. — De Pontmartin. — Schérer. — Jules Janin. — Ars. Houssaye. — Théophila^Gautier. — Paul de Saint-Victor. — Gustave Planche. — Taine. — Deschanel. — Francisque Sarcey. — Brunetière. — G. Larroumet. — Jules Lemaî- tre 156 FIN DE LA TABLE Imprimerie de DESIENAY. - Saint-Amand (Cher.) tri '^ #-• ■y- - V. A.^ -^ c < / o <- ' f. •- /■ A. UUf HK'P. Kdiic-M COLLECTION HISTORIQUE UNIVERSELLE t-WRE DE l'Académie Franqmsb, par Chabnes Barthé- |mmy, grand in- IB. . , 2 fr i Mythologie, de Andrew Unc, ti'fiduîto de TAnglals [pur M. Lùw PAHMEN'nsK. aveu udp, iutroduotion el deS I notas, par M. Chahles IMichel, professeur i. la Faculté [ dss Lettres do Gand, grand in-lS. . , , . . 2 fr. fllBTOiiiE UB L. Médecine, par M. Lucikn IUrbjllion, grand >"'•« 2rr. SOVS PRESS Ji li.9tBwB BE u DETTE puiiLiQUE>N France, par M. E.-H, ^HftiODie, arohiviate- paléographe, docteur es lettres et ea kUroIl, grand in-18 ^tt TOnS DE LA FORMATION TEHIUTOIllALK DE LA ¥bANCE, p»r M, PRANÇoia Lhomme, agrégé de rUniversitô, profeasaur r .'au lycée .lanspn ijfl Saîlly, grand in-lX. filKCOIBB DES INSTITUTIONS JKDlr.uiHBS. par M. BrOi I Makbillac, docteur gd droit, ûialtre des reqtaêtes ai f seil d'Etat, grand in-(8 Nomlirewi: ouvrages l'k piépuralion ■ft\mefK de IjESTENAÏ. SiîoUAi.inQd (Cher). I ■ il... ;r. I 14 DAY USE I ^^n;,^TOI,BSKFKOMWH.CHBO«>O^I LOAN DEPT. ast date stampet which rencwed, oject lo immcdii ^. w^V i, due a. the l.st date îu-mped below. or M the '^««^«.Yen vo immédiate recU.